Email Info Numéro 33


Orange 19 avril 2017

Aujourd’hui l’AP 5 email info est un peu particulier. Il y a environ deux ans j’apprenais que j’avais été accusé par le général Lanata d’avoir été un frein à sa volonté de modernisation de l’AAir. Cela m’avait valu des commentaires particulièrement négatifs, mais aussi Dieu merci des commentaires particulièrement positifs écrits par des hommes et des femmes qui avaient servis sous mes ordres, choqués par ce procès d’intention. Aujourd’hui j’ai décidé de répondre, sans acrimonie, sans rancune, mais pour dire tout simplement ma vérité, que je suis encore capable d’appuyer sur les documents d’époque.


En 2011, Vincent Lanata a publié un livre à compte d'auteur destiné à ses proches et jamais commercialisé mais il a eu la gentillesse de l’offrir à D. Merchet. Il y a deux ans environ, ce dernier a repris quelques passages dans son Blog «secret défense», c’est ainsi que j’ai découvert que le général Lartigau avait des idées «un peu conservatrices». Je n’ai pas lu ce livre et je n’ai pas compris les raisons de cette attention. Le poste de CEMAA est très difficile, le général Lanata l’a rempli avec brio, et j’ai été d’accord avec lui sur bon nombre de points. Comme il l’avait fait en face de son prédécesseur, le général Fleury, je lui ai donné mon avis sur certaines de ses orientations. Dans une structure aussi verticale que la nôtre j’ai toujours pensé que le patron avait besoin d’éclairages différents de ceux de ses subordonnés directs, en général aux ordres, et c’est ce que j’ai fait. A ce titre nous avons eu des divergences, mais à la lecture de l’AAir aujourd’hui j’ai le sentiment d’avoir eu souvent raison et ce sans être particulièrement conservateur. Alors pourquoi cette attaque ad personam?

Sans faire de polémique, je vais être factuel et je vais donc citer quelques points de désaccord ou, sans avoir été conservateur ou passéiste, le présent de l’AAir me donne raison.


Au Plan organisation

Le CASSIC

La création d’un nouveau grand commandement le CASSIC a été un point de désaccord. L’AAir a vu, en un an, le Commandement des Transmissions de l’AAir (CTAA) devenir successivement le Commandement des systèmes de transmission de l’AAir (CSTAA) et enfin au bout de deux changements d’organisation en 12 mois, le Commandement Air des Systèmes de Surveillance, d’Information et de Communications (CASSIC). Ce commandement était censé fédérer tous les utilisateurs de l’électron. Pour moi cette agrégation d’unités porteuses de métiers ne me paraissait pas pertinente et j’ai défendu une organisation axée sur une mission et non sur un métier. L’avenir m’a donné raison car le CASSIC a disparu

Le CDAOA

Autre création, le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (CDAOA) «sur et à partir du territoire national». Il y avait pour moi dans cette création deux erreurs de fond. La première était de ramener la Défense Aérienne du Territoire national au niveau des opérations aériennes. Or il y a une différence de niveau considérable. En effet la Défense Aérienne est d’essence interarmées rassemblant sous sa responsabilité tous les moyens de l’AAir et des autres armées concourant à la DA. Ce commandement dépend directement du Premier Ministre alors que les Opérations Aériennes sont du niveau du CEMA voire du commandant de théâtre. Quant à la limitation du domaine d’action «sur et à partir du territoire national» c’était oublier la leçon de la première guerre du golfe partiel, réducteur et inapplicable. L’expérience l’a prouvé. Après 25 années, l’AAir est parvenue à un certain équilibre non par la démonstration du bien-fondé de cette organisation mais par l’évolution de la conduite des opérations extérieures au niveau du CEMA et une prise de conscience par le CDAOAA, de l’importance de la mission de Défense Aérienne.

Pour ma part à l’époque j’avais proposé «un major opérationnel». J’avais donné ce nom pour ne pas heurter les egos et pour ne pas ressusciter le syndrome de la FATac que le général Lanata avait fait disparaitre. Ce major avait sous ses ordres les différents commandements chasse, transport, CFCA, et le commandement de la Défense Aérienne et des Forces Aériennes Stratégiques étaient indépendants. Ce Major Ops commandait les opérations aériennes si nécessaire mais était commandement organique si on ne lui donnait pas de mission opérationnelle. Il y avait ainsi continuité temps de paix, temps de guerre (enseignement oublié de la défaite de 1870).


La DA outre-mer.

A l’époque lointaine, «indien» dans l’EM du Général Mitterrand, IGAA, j’avais écouté ses commentaires sur les DOM/TOM, ou il nous disait, "Outre-mer, nous ne sommes que des prestataires de service".

Alors j’avais la volonté de redonner à l’AAir sa place grâce à nos responsabilités en matière de Défense Aérienne et de maitrise de la troisième dimension. Je souhaitais que dans chaque territoire on mette en place une Haute Autorité de Défense Aérienne commandant l’ensemble des unités Air et équivalant des préfets maritimes. Je n’ai pas convaincu de la pertinence de cette idée, ce n’est venu que beaucoup plus tard quand on a créé cette responsabilité en Guyane au profit du CSG. Dommage.


La suppression du niveau escadre.

Sous l’impulsion du directeur du personnel de l’époque qui avait évolué dans le cadre du Transport, ou la position de l’escadre n’avait pas le même poids que dans la chasse, il a été décidé de la suppression du niveau escadre. Pour habiller cette décision on a annoncé que l’entrée à l’Ecole de guerre des aviateurs se ferait au même niveau d’ancienneté que les officiers des autres armées, et que pour ne pas appauvrir l’expérience du commandement, les escadrons de chasse deviendraient des escadrons «lourds» de 25 avions avec un personnel mécanicien attaché à l’escadron. On sait ce qu’il en est advenu : quelques escadrons sont passés à 20 avions, mais la majorité est resté à 15, les mécanos sont repartis dans des structures techniques indépendantes des pilotes et les commandants d’escadron ne commandent que quelques secrétaires et mécanos détachés.

Je me suis opposé à cette réforme sans gagner, car pour moi la multiplication des niveaux de commandement était fondamental sur le plan de l’expérience, mais surtout l’escadre était le niveau organique, de préparation des forces. C’est à ce niveau que l’on pouvait harmoniser, entre les escadrons, l’instruction, la sécurité des vols, les procédures, et que l’on pouvait

arbitrer les choix techniques en conservant la main mise sur les mécanos et la régénération du potentiel avion.


Après 20 ans d’immobilisme, le niveau escadre a été recréé me donnant ainsi raison.


Le renseignement

J’avais créé à la FATac-1ère RA, un centre de fusion du renseignement, qui rassemblait les travaux des centres de fusion des différents types de renseignements (humain, photo, électronique et documentation ouverte) créés par ailleurs. Je souhaitais que le 2ème Bureau de l’EMAA fasse la même chose et sorte de son rôle d’archiviste des divers documents pour en faire un outil au service du commandement. Dans cette organisation je conservais la gestion des attachés défense à l’étranger sous la responsabilité de ce 2ème Bureau NG. Je n’ai pas eu gain de cause…

Au plan des équipements

Le M2000-5

Le premier désaccord est venu de la modification des M 2000 RDI qui sortaient de chaine pour les repasser en chaine et en faire des 2000-5. C’était l’époque de la vente par Dassault des 2000-5 aux E.A.U. Pour moi remettre en chaine des avions neufs ne me paraissait pas une bonne affaire, d’autant que le budget consacré à cette modification nous aurait permis d’acheter 30 MF1CR neufs qui auraient abondé notre parc de chasseurs. En effet depuis 1945 nous n’avons pas tiré une munition pendant des missions de Défense Aérienne, en revanche l’emploi de nos avions en Air/sol a été constant. Je note que nos -5 n’ont toujours pas tiré un missile mais que les engagements au sol ont été nombreux et que les F1CR y ont pris leur part grâce à leur système d’armes, le plus performant de l’époque.

Je n’ai pas gagné mais je suis aujourd’hui encore persuadé que pour l’AAir j’avais raison.


Les ravitailleurs

Une autre divergence est apparue au sujet des ravitailleurs. Nous venions d’acheter deux A 310 et il m’est apparu judicieux d’équiper ces avions de paniers de ravitaillement en vol et de commencer ainsi un remplacement en biseau de notre flotte de ravitailleurs. Or le major de l’époque ancien des C 135, avec l’aval de son chef, a négocié aux U.S.A l’achat de trois KC 135 retirés du service. Pour moi c’était une aberration, je n’ai pas gagné mais là encore je le regrette et je pense que mon orientation était plus moderniste que rétrograde.

Par ailleurs

Nous avons eu d’autres divergences secondaires sur le Commissariat, sur la Direction du Matériel, sur les implantations et les Régions aériennes, sur notre positionnement en interarmées, je n’en ferai pas état aujourd’hui, mais ma position n’était ni conservatrices ni passéiste le présent le prouve.

Enfin pour le "fun" je note que, quand le général Lanata était Inspecteur, son chef d’état-major était un PN, quand j’étais Inspecteur mon chef d’état-major était un mécano, suis-je toujours conservateur ?

JC Lartigau