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VOL
de NUIT ordinaire ou presque ou
l'histoire d'une collision en vol
Le lundi 18 mars 1968, vol de nuit à la 5ème
Escadre de Chasse,
comme d’ailleurs deux à trois fois par semaine.
L’escadron 1/5 a prévu plusieurs missions dont deux patrouilles de deux
Mirages IIIC et un Fouga Magister, qui à l’issue de leurs missions se
poseront à Dijon. Le retour à Orange est prévu le soir même.
Leader d’une des patrouilles de MIIIC, j’ai pour n° 2 le sergent chef
Flasseur.
L’autre patrouille a pour leader le lieutenant Beliaeff (aujourd’hui
décédé dans un accident d’avion).
Le Fouga est piloté par l’Adjudant Tiné qui, nouvellement muté à
l’escadron,
doit s’entraîner de nuit sur avion de complément avant d’être lâché de
nuit sur MIIIC. Je lui demande d’emmener avec lui un parachute et un
masque de
Fouga supplémentaires de façon à pouvoir ramener à Orange un pilote de
MIIIC
en cas de panne de son appareil.
En fin de mission, au moment d’amorcer la descente, je déverrouille
l’auto
commande et constate un blocage de manche, je suis amené à me poser
avec cette
aide au pilotage.
Les mécaniciens de Dijon ne réussissant pas à remédier à la panne, je
décide de rentrer avec l’Adj. Tiné.
Il me propose la place avant. La mission étant a son profit, je prends
la
place arrière.
Le décollage de Dijon a lieu aux environs de 22h00 locales, la
navigation s’effectue
en COM B au niveau 215, pour un retour direct sur Orange.
La nuit est noire, nous sommes au-dessus d’une couche de 4/8 de
stratocumulus.
Rambert (Centre de Détection et de Contrôle de Lyon Mont Verdun) nous
demande si nous acceptons de servir de plastron pour le MIIIC qui
faisait partie
de ma patrouille dans la mission précédente. J’accepte.
L’interception est réalisée, le MIIIC nous double, nous voyons la lueur
de la tuyère qui s’éloigne dans nos 1heure.
Je me charge de la navigation, nous venons de passer Lyon et je cherche
à
accrocher au radio compas la balise de Montélimar. De la main droite je
manoeuvre la manivelle du radio compas, ne pilotant pas, j’ai la main
gauche
libre et je passe inconsciemment la collerette du gant dans la pince se
trouvant
sur la cuisse gauche de la combinaison anti-G que j’ai gardé sur moi.
Cette
pince sert à maintenir d’éventuels documents servant à la navigation ou
à
la mission.
Une seconde interception est en cours, les distances sont annoncées par
le
CDC : 5nm, 3nm, 1,5nm.
Je me réveille en plein ciel, plus rien autour de moi, j’ai du perdre
connaissance pendant quelques secondes. Je n’ai rien vu, rien entendu,
rien
ressenti, la dernière vision que j’ai eu, c’est l’éloignement du
tableau
de bord puis, le noir complet. Je tombe dans le vide le dos tourné vers
le sol.
Je réalise immédiatement ce qui s’est passé et je hurle :
" Le c… il nous est rentré dedans ". Je saisis la
poignée du parachute, elle me tombe directement sous la main. Je tire
avec
force, le parachute s’ouvre, je subis un choc très violent, j’ai ouvert
beaucoup trop haut. Je descends lentement, la corolle est parfaitement
ouverte
mais j’ai la jambe gauche prise dans les suspentes.
J’ai une sensation étrange dans cette jambe. Je la remue, une douleur
diffuse interne et un crissement des os me laisse penser qu’elle est
cassée.
En effet quand j’entreprends de la dégager, ce qui se fait aisément en
tirant sur les suspentes, je m’aperçois qu’elle est articulée au niveau
du
tibia.
Je suis maintenant assis confortablement dans le harnais et je fais
l’inventaire
de mes blessures.
La main gauche me brûle, je l’approche de mon visage, la peau a été
arrachée du poignet jusqu’aux premières phalanges, elle pend en
lambeaux. Au
choc mes membres ont du partir dans toute les directions. Le gant est
resté
accroché à la pince de la combinaison anti-G et la main est sortie en
force,
le frottement m’a dépiauté la main.
J’ai froid aux pieds, le gauche a toujours la chaussure mais elle
baille et
les doigts de pied sont à l’air libre.
La jambe droite de la combinaison anti-G a été arrachée entraînant avec
elle la chaussure et la chaussette. Je tâtonne, le pied est très enflé,
il a
doublé de volume et je détecte une profonde coupure au talon ainsi
qu’une
plaie importante sur le dessus.
J’ai perdu le casque mais gardé le sous casque, j’ai l’impression
d’avoir
le visage en feu, en le tâtant je sens qu’il est humide, j’ai du
recevoir
un gros coup de chaleur au moment du choc, le visage est brûlé au 1er
et 2ème degré.
J’ai de plus en plus froid, je pense qu’a cette altitude, au mois de
mars
et en pleine nuit, la température doit avoisiner les moins trente,
moins
quarante degrés. Je suis obligé de réchauffer mes pieds et mes mains en
les
massant.
J’ai ouvert trop haut, la descente me semble interminable. Je traverse
la
couche nuageuse, je suis fortement secoué puis la descente reprend
calmement. J’aperçois
sur ma gauche les lumières de la vallée du Rhône. J’appelle deux à
trois
fois l’autre pilote espérant qu’il est dans la même situation non loin
de
moi. Pas de réponse.
J’appréhende l’atterrissage mais je suis confiant, je me dis qu’étant
sorti vivant de la collision, la suite ne peut m’être fatale. Je décide
de
protéger ma jambe gauche en la croisant sur la droite. Au choc je me
casserai
sûrement cette dernière mais l’autre ne subira peut-être pas de dégâts
supplémentaires. Je devine la proximité du sol au tout dernier moment.
Je tire
sur les suspentes pour amortir le choc, j’entends un bruit de branches
cassées, la descente s’est terminée avec douceur, seuls mes pieds
touchent
le sol, je n’ai subi aucun dommage, j’ai traversé un arbre, la corolle
du
parachute recouvre les branchages et a freiné la chute.
Je me dégrafe du harnais et me retrouve allongé sur le sol. La douleur
de
la jambe commence à s’éveiller. Je serais capable de ramper mais vers
où,
je ne vois rien, je suis dans le noir complet, il n’y a aucune lumière
visible.
Je voudrais bien récupérer mon parachute pour me protéger un peu du
froid
mais le harnais m’a échappé au moment ou je me dégrafais, la
flexibilité
des branches l’a mis hors de ma portée. Je ne peux me lever et de plus
je ne
vois rien.
La Base Aérienne d’Orange Caritat a déjà du être informée de
l’accident,
les secours vont se mettre en place mais il faudra des heures avant que
les
recherches commencent. Je me fais à l’idée que je ne verrai personne
avant
le jour. Je m’apprête à passer une longue, une très longue nuit.
J’appelle au secours, un chien aboie, quand il se tait, j’appelle à
nouveau. Le temps me semble long, je ne peux lire l’heure à ma montre,
il
fait trop sombre. Je cherche ma lampe électrique, elle était dans la
poche
droite de ma combinaison anti-G, disparue avec la jambe du
pantalon.
Un chien en pleine course me frôle, je l’ai, à peine entraperçu, il
semble ne m’avoir ni vu ni senti car il poursuit sa route. Je cherche
mon
poignard, on ne sait jamais, un chien errant pourrait m’attaquer,
disparu lui
aussi, il était dans la poche avec la lampe.
Au loin j’aperçois deux ou trois fois des phares de voitures mais
beaucoup
trop loin pour me découvrir. N’ayant pas ma lampe je ne peux faire de
signaux.
Après une attente qui m’a paru interminable, arrive un couple
d’agriculteurs.
Ils m’apprennent qu’inquiets par les aboiements répétés de leur chien
ils
se sont décidés à se lever et en sortant ont aperçu la lueur blanchâtre
du
parachute dans le noyer qui se trouve à proximité de leur ferme.
Je suis tombé dans une vallée encaissée, loin
de toute agglomération,
loin de toute route mais heureusement prés d’une des fermes isolées qui
parsèment la région. Les fermiers n’ont ni téléphone ni voiture.
L’homme
part a pied chez un voisin dont la ferme se situe de l’autre coté du
vallon
sur le versant abrupte d’une colline. Son épouse m’apporte une
couverture
et du café.
Après une heure d’attente les secours arrivent, pompiers et gendarmes,
je
suis évacué à Tournon et suis opéré dans la nuit même.
Le chirurgien, avant de m’endormir, me demande de remuer les doigts de
pieds de la jambe gauche, ce que je fais. Il me dira plusieurs jours
plus tard
que si je n’avais pas eu de réaction, il m’aurait coupé la
jambe !!!
On me rapportera que pour certains, on m’avait coupé cette jambe et on
allait peut-être me couper la deuxième.
Un ou deux ans plus tard, à Solenzara en Corse, je rencontre sur le
parking
un ami que j’avais perdu de vue depuis plusieurs années, il me regarde
avec
surprise et m’annonce qu’on lui avait dit que j’avais péri dans
l’accident.
La collision s’est produite travers ouest Tournon pour 15 à 18 km. Le
MIIIC et le Fouga sont tombés à 5 km l’un de l’autre. Le MIIIC prés de
la
commune de Pailharès et le Fouga sur la commune de Vaudevant. Une aile
du Fouga
et une partie du tableau de bord sont retrouvés à 3 km du
fuselage.
Mon siège sera retrouvé sangles non dégrafées, avec un morceau de
baquet
à chaque extrémité.
Le Fouga a été éventré par le Mirage, n’ayant plus rien en dessous de
moi, je suis tombé par l’ouverture.
Moi-même et le S/C. Flasseur avons atterri à 8 km environ au sud de nos
aéronefs respectifs.
Le S/C. Flasseur sur les rives d’un petit ruisseau, à 20 mètres d’une
ferme, il se démet une épaule. C’est après avoir frappé avec insistance
qu’il
parvient à se faire ouvrir la porte. Le fermier n’a ni téléphone ni
voiture
et refuse de l’accompagner jusqu’au village le plus proche, il consent
cependant à lui indiquer le chemin. Le S/C. Flasseur parcours plusieurs
km
jusqu’au village de St Félicien et frappe à la porte de la
gendarmerie.
J’ai atterri au lieu dit La Culat sur la commune de
Colombier-le-Vieux.
Le corps de l’Ajt. Tiné ne sera retrouvé que le surlendemain, emmêlé
avec la planche du tableau de bord dans son parachute déchiqueté. Sa
jambe
gauche avait été retrouvée la veille à 500 mètres de l’épave du
Fouga
J’ai subi trois opérations dont une greffe osseuse, le tibia était
éclaté en cinq morceaux. Le greffon a été pris sur le tibia droit. Je
suis
resté plusieurs mois allongé, ayant interdiction de prendre appui sur
mes
jambes.
J’ai volé à nouveau au mois de novembre suivant, tout d’abord sur Fouga
puis sur MIIIC en février 1969.
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