|
Mon
altimètre marque 2.000. Au-dessous. de moi un panorama
merveilleux Les Vosges! La beauté du paysage me fait
pour un instant oublier le but de mon voyage: la chasse
aux Boches! Afin de
jouir davantage du spectacle, je me décide à faire un petit crochet à gauche qui va me
permettre de survoler
le Ballon d'Alsace. Sur le versant Nord, au fond de l'étroite
vallée, j'aperçois
un minuscule miroir d'argent, c'est le lac de... Du
coup la tentation est trop grande ! Pourquoi ne pas admirer quelques instants ce spectacle
délicieux?
Mollement, je laisse mon
avion tourner en
spirales, cherchant, mais en vain, le reflet de sa silhouette dans
cette nappe argentée
et tranquille. Ce
petit jeu aurait peut-être duré quelques minutes encore si mon
moteur n'avait
troublé la fête en jetant des notes discordantes. Il n'en fallut
pas plus pour me
donner de l'inquiétude. J'écoute attentivement: il me semble, de
plus en plus, que
sa marche est irrégulière. J'entrevois la panne traîtresse,
l'atterrissage mouvementé
sur les bords d'un de ces précipices dont j'admirais l'instant d'avant l'aspect sauvage, et où je ne
peux compter sur aucun secours immédiat.
Instinctivement, je pousse sur la direction
afind'augmenter ma vitesse. J'ai hâte de fuir ces lieux. Toutefois, je
remarque que plus j'approche
de la plaine, plus mon «moulin» semble mettre de bonne volonté à tourner ; il ronfle à présent
d'une façon parfaite,
il est probable qu'il en a été ainsi depuis mon départ et
qu'il n'a jamais
eu l'intention de me jouer un vilain tour.
Qui sait si ce n'est pas
moi, le pilote qui
viens d'être la victime d'une fâcheuse illusion, pour ne pas dire d'un
léger commencement
de peur. Un peu honteux de cette faiblesse, je me morigène sévèrement en songeant que dans un
laps de temps
peut-être très court, j'aurai à affronter le Boche et à le
combattre.
Comme un
cheval fatigué qui baisse la tête après une longue
course, mon appareil qui a grimpé à 4.600 mètres
d'altitude, commence à voler horizontalement de ui-même,
avec une légère tendance à piquer du nez ; c'est
l'indice qu'il a atteint son «plafond» c'est-à-dire son
maximum de hauteur.
Presque
à mes pieds la grande ville de Mulhouse. A quelques
kilomètres à droite, dans une clairière, le champ
d'aviation allemand d'Habsheim. Un coup d'œil sur ma
carte me montre que j'ai passé les lignes sans m'en
apercevoir ; cela importe peu et arrive assez souvent
d'ailleurs, surtout lorsque les réseaux de tranchées
sont étroits comme c'est le cas dans les secteurs où il
n'y a jamais eu d'opérations importantes.
Le vent souffle de l'Ouest
à l'Est assez fortement, désavantage pour la chasse dans
cette région. Aussi je ne juge pas utile de pénétrer
plus profondément à l'intérieur des lignes ennemies et
fais face au
Nord. A ce moment, les artilleurs du Deustchland Uber Alles!, m'en
voient quelques
crapouillots afin de me montrer que je n'ai pas trompé leur
vigilance ; leur tir manque de précision, j'estime donc inutile la manœuvre de crochets et
de changements
d'altitude que j'emploie habituellement pour dérouter un tir plus précis.
Une montagne, dont le
sommet diffère des
autres par sa couleur rouge brique, attire mon attention. C'est
l'Hartmanswillerskopf,
célèbre par la défense héroïque des petits Alpins français. Là, comme à Verdun: «On ne passe pas !»
Un demi-virage à droite, un
autre demi à
gauche, me permettent de lancer un prudent coup de périscope
autour de moi.
Rien d'anormal. Rassuré, je
continue ma route
et, en approchant de plus en plus de l'Hartmanswillerskopf, je
cherche dans ma
mémoire où j'ai pu voir, avant ce jour, un spectacle semblable à celui
qui frappe actuellement
ma vue? J'y suis! C'est dans les photos de la lune!
Parfaitement, de la
lune dans ses parties les plus accidentées. Ridé, troué, bouleversé,
ce sommet tranche
d'une façon singulière sur les montagnes d'alentour pour la
plupart verdoyantes.
Cependant je suis toujours aux aguets, mon regard fouille l'espace en tous sens. La précaution cette
fois n'est pas
inutile. Justement voilà un ennemi, un peu au-dessous et derrière
moi. C'est un
petit biplan monoplace du type Fokker ou Halberstadt. Un coup
d'œil circulaire
m'assure qu'il est seul. J'en suis surpris, car c'est bien la
première fois
qu'un appareil de ce genre vient se placer si délibérément dans une
position aussi
désavantageuse pour le combat. Une ruse peut-être? On ne sait
jamais ! A moins
que ce soit un débutant, manquant d'expérience, qui n'écoute que son courage afin de devenir un des
grands «As» de
son pays.
Quoiqu'il en soit, le vent
souffle toujours à
l'Ouest et me déporte de plus en plus à l'intérieur des lignes.
Il ne faut pas
laisser le Boche profiter de cet avantage trop longtemps ; je décide
de commencer
l'attaque sans perdre une seconde.
Une volte-face, suivie d'un
brusque double
virage, me porte un peu en arrière de mon adversaire. Profitant de cette préparation je fonce sur
lui, mais, avec
une adresse remarquable, il sort du champ de tir de ma
mitrailleuse. Il a deviné ma manœuvre et a paré le coup avant que je lui porte. Je suis
maintenant
convaincu que j'ai réellement affaire à un virtuose, cette
première passe me
le prouve.
Faisant
tanguer mon appareil de droite à gauche, je l'aperçois à
nouveau au-dessous
de moi, beaucoup plus près qu'avant, à une
quarantainelde mètres tout au plus. Soudain, il se cabre, comme pour amorcer un looping et
dans cette position
incommode me tire une volée que j'esquive par un
demi-renversement a droite. Une deuxième fois j'attaque, mais toujours sans plus de
succès. Le vent nous
a entraînés tout au nord de Mulhouse et je commence à
me demander si
je ne fais pas le jeu de monad versaire en m'attardant plus longtemps
avec lui.
A ce moment, le hasard
fait que mon regard
se porte dans la direction de Belfort qui se trouve à
environ 20 kilomètres
dans nos lignes. Là j'aperçois dans l'air les petits flocons
blancs, révélateurs de la présence d'un Boche.
Excellente occasion !
J'ai maintenant une
excuse pour abandonner d'une façon honorable le match, et
j'avoue que je n'en
suis pas fâche du tout. Seulement, avant de quitter mon adversaire, je tiens à lui
montrer que
j'apprécie et respecte sa vaillance ; sortant mon bras gauche du fuselage, je
l'agite en signe
d'adieu. Il a compris et tient à être courtois lui aussi, car il me renvoie mon salut.
Toute mon attention se reporte sur celui que je
considère déjà
comme ma nouvelle proie, un gros biplace blanc, d'apparence très grasse ! Je me rapproche de plus en plus de
lui. Veine !
Pour la première fois depuis que je chasse, je vais avoir la bonne fortune de combattre à l'intérieur de nos
lignes. Aussi
cela augmente la confiance au point de me faire négliger toutes mesures de
prudence et même
de science tactique.
Un autre motif me pousse
à me risquer
plus que d'habitude: je ne veux pas qu'il m'échappe et je me fais un point d'honneur de le mitrailler jusqu'à
la victoire
finale. Quelle joie! si je pouvais seulement loger une
balle dans son
moteur, ou dans son réservoir d'essence, ce qui l'obligerait à
atterrir sur le sol
français. J'aurais alors la satisfaction de pouvoir causer avec
les vaincus, leur
demander leurs impressions sur le duel aérien auquel ils
viennent de prendre part.
(Cinq
lignes censurées)
Un
vieux proverbe français dit: « Il ne faut pas vendre la peau
de l'ours avant de l'avoir tué.» J'ai eu ce jour-là
l'occasion d'en vérifier la justesse, ainsi qu'on va le voir.
Assez rêvé! Le moment d'agir est venu. Rapidement je me place à
l'arrière et dans
l'axe de l'ennemi, dont je suis séparé par une distance de 50
mètres environ. J'ouvre alors le feu de ma mitrailleuse et
tire jusqu'au
moment où mon appareil, supérieur en vitesse, arrive si près du gros biplace que le
télescopage paraît inévitable. Brusquement je ramène la direction à moi et saute l'obstacle,
puis retombe en glissade sur l'aile droite. Prenant de la vitesse, je rétablis
l'équilibre et me prépare à tenter la chance une deuxième fois.
Malédiction ! Rien ne
va plus! Le moteur,
âme de mon avion, a reçu une blessure mortelle et est en
train de rendre le dernier soupir.
En retournant la tête,
je constate que le stabilisateur a aussi été endommagé sérieusement. Mon ennemi ne
semble pas vouloir
profiter de la situation. Il continue son vol dans la
direction de ses lignes. Peut-être l'ai-je touché très sérieusement? Je le souhaite,
en tous cas sa
fuite me laisse maître du champ de bataille! C'est tout de
même une petite consolation. De courte durée toutefois car je descends de plus en
plus rapidement.
Enfin, j'atterris sur le champ d'aviation de....
Pilotes, observateurs,
mécaniciens
m'entourent et me pressent de questions. Ils ont vu le combat et veulent des détails. Pour l'instant je
n'explique pas
grand'chose si ce n'est que je suis tombé sur un Boche qui ne comprend
pas la
plaisanterie! D'ailleurs, j'ai hâte d'examiner les
blessures de
mon petit avion. Il est bien malade le pauvre ! Trois
balles dans
le moteur, le réservoir d'essence crevé, un montant du fuselage hors d'usage,
plusieurs trous
dans le capot, enfin le côté gauche du stabilisateur coupé et déchiqueté par les
balles.
D'accord avec les
mécaniciens, je
décide qu'il est irréparable. Il a fait son dernier vol
et sera réformé
!
Sous-lieutenant RAOUL
LUFBERY.
Copyright U.S.A. by P.-A. Rockwell.
Le
Camel est un avion de chasse anglais créé par la
maison Sopwith. C'est avec lui que les aviateurs
britanniques attaquent les tranchées. Ils
plongent de 3.000 mètres, descendent à moins de
30 mètres et prennent en enfilade les objectifs
choisis sur lesquels ils tirent avec une
légendaire audace.
|
Tous
les apparetls de l'escadrille des Cigognes sont
sortis et vont s'envoler pour aller assurer la
police des nues. C'était à l'époque où, dans la
célèbre unité, les Guynemer, Dorme, Heurtaux,
Deullin, Guiguet, Chanat, Bucquet rivalisaient
d'audace pour la plus grande gloire de la 3!
|
Le
Bulgare Garapoff, engagé volontaire. dans
l'aviation russe, tué après avoir abattu son
troisième Boche. Une balle qui l'avait atteint à
l'épaule infecta
la plate et provoqua la mort.
|
|