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UN COUP DUR !
 
par le Sous-lieutenant Raoul LUFBERY  1918/01/03

Mon altimètre marque 2.000. Au-dessous. de moi un panorama merveilleux Les Vosges! La beauté du paysage me fait pour un instant oublier le but de mon voyage: la chasse aux Boches! Afin de jouir davantage du spectacle, je me décide à faire un petit crochet à gauche qui va me permettre de survoler le Ballon d'Alsace.  Sur le versant Nord, au fond de l'étroite vallée, j'aperçois un minuscule miroir d'argent, c'est le lac de...  Du coup la tentation est trop grande ! Pourquoi ne pas admirer quelques instants ce spectacle délicieux?
Mollement, je laisse mon avion tourner en spirales, cherchant, mais en vain, le reflet de sa silhouette dans cette nappe argentée et tranquille. Ce petit jeu aurait peut-être duré quelques minutes encore si mon moteur n'avait troublé la fête en jetant des notes discordantes. Il n'en fallut pas plus pour me donner de l'inquiétude. J'écoute attentivement: il me semble, de plus en plus, que sa marche est irrégulière. J'entrevois la panne traîtresse, l'atterrissage mouvementé sur les bords d'un de ces précipices dont j'admirais l'instant d'avant l'aspect sauvage, et où je ne peux compter sur aucun secours immédiat. Instinctivement, je pousse sur la direction afind'augmenter ma vitesse. J'ai hâte de fuir ces lieux. Toutefois, je remarque que plus j'approche de la plaine, plus mon «moulin» semble mettre de bonne volonté à tourner ; il ronfle à présent d'une façon parfaite, il est probable qu'il en a été ainsi depuis mon départ et qu'il n'a jamais eu l'intention de me jouer un vilain tour.
Qui sait si ce n'est pas moi, le pilote qui viens d'être la victime d'une fâcheuse illusion, pour ne pas dire d'un léger commencement de peur. Un peu honteux de cette faiblesse, je me morigène sévèrement en songeant que dans un laps de temps peut-être très court, j'aurai à affronter le Boche et à le combattre.
Comme un cheval fatigué qui baisse la tête après une longue course, mon appareil qui a grimpé à 4.600 mètres d'altitude, commence à voler horizontalement de ui-même, avec une légère tendance à piquer du nez ; c'est l'indice qu'il a atteint son «plafond» c'est-à-dire son maximum de hauteur.
Presque à mes pieds la grande ville de Mulhouse. A quelques kilomètres à droite, dans une clairière, le champ d'aviation allemand d'Habsheim. Un coup d'œil sur ma carte me montre que j'ai passé les lignes sans m'en apercevoir ; cela importe peu et arrive assez souvent d'ailleurs, surtout lorsque les réseaux de tranchées sont étroits comme c'est le cas dans les secteurs où il n'y a jamais eu d'opérations importantes.
Le vent souffle de l'Ouest à l'Est assez fortement, désavantage pour la chasse dans cette région. Aussi je ne juge pas utile de pénétrer plus profondément à l'intérieur des lignes ennemies et fais face au Nord. A ce moment, les artilleurs du Deustchland Uber Alles!, m'en voient quelques crapouillots afin de me montrer que je n'ai pas trompé leur vigilance ; leur tir manque de précision, j'estime donc inutile la manœuvre de crochets et de changements d'altitude que j'emploie habituellement pour dérouter un tir plus précis.
Une montagne, dont le sommet diffère des autres par sa couleur rouge brique, attire mon attention. C'est l'Hartmanswillerskopf, célèbre par la défense héroïque des petits Alpins français. Là, comme à Verdun: «On ne passe pas !»
Un demi-virage à droite, un autre demi à gauche, me permettent de lancer un prudent coup de périscope autour de moi.
Rien d'anormal. Rassuré, je continue ma route et, en approchant de plus en plus de l'Hartmanswillerskopf, je cherche dans ma mémoire où j'ai pu voir, avant ce jour, un spectacle semblable à celui qui frappe actuellement ma vue? J'y suis! C'est dans les photos de la lune! Parfaitement, de la lune dans ses parties les plus accidentées. Ridé, troué, bouleversé, ce sommet tranche d'une façon singulière sur les montagnes d'alentour pour la plupart verdoyantes. Cependant je suis toujours aux aguets, mon regard fouille l'espace en tous sens. La précaution cette fois n'est pas inutile. Justement voilà un ennemi, un peu au-dessous et derrière moi. C'est un petit biplan monoplace du type Fokker ou Halberstadt. Un coup d'œil circulaire m'assure qu'il est seul. J'en suis surpris, car c'est bien la première fois qu'un appareil de ce genre vient se placer si délibérément dans une position aussi désavantageuse pour le combat. Une ruse peut-être? On ne sait jamais ! A moins que ce soit un débutant, manquant d'expérience, qui n'écoute que son courage afin de devenir un des grands «As» de son pays.
Quoiqu'il en soit, le vent souffle toujours à l'Ouest et me déporte de plus en plus à l'intérieur des lignes. Il ne faut pas laisser le Boche profiter de cet avantage trop longtemps ; je décide de commencer l'attaque sans perdre une seconde.
Une volte-face, suivie d'un brusque double virage, me porte un peu en arrière de mon adversaire. Profitant de cette préparation je fonce sur lui, mais, avec une adresse remarquable, il sort du champ de tir de ma mitrailleuse. Il a deviné ma manœuvre et a paré le coup avant que je lui porte. Je suis maintenant convaincu que j'ai réellement affaire à un virtuose, cette première passe me le prouve.
Faisant tanguer mon appareil de droite à gauche, je l'aperçois à nouveau au-dessous de moi, beaucoup plus près qu'avant, à une quarantainelde mètres tout au plus. Soudain, il se cabre, comme pour amorcer un looping et dans cette position incommode me tire une volée que j'esquive par un demi-renversement a droite. Une deuxième fois j'attaque, mais toujours sans plus de succès. Le vent nous a entraînés tout au nord de Mulhouse et je commence à me demander si je ne fais pas le jeu de monad versaire en m'attardant plus longtemps avec lui.
A ce moment, le hasard fait que mon regard se porte dans la direction de Belfort qui se trouve à environ 20 kilomètres dans nos lignes. Là j'aperçois dans l'air les petits flocons blancs, révélateurs de la présence d'un Boche.
Excellente occasion ! J'ai maintenant une excuse pour abandonner d'une façon honorable le match, et j'avoue que je n'en suis pas fâche du tout. Seulement, avant de quitter mon adversaire, je tiens à lui montrer que j'apprécie et respecte sa vaillance ; sortant mon bras gauche du fuselage, je l'agite en signe d'adieu. Il a compris et tient à être courtois lui aussi, car il me renvoie mon salut.
Toute mon attention se reporte sur celui que je considère déjà comme ma nouvelle proie, un gros biplace blanc, d'apparence très grasse ! Je me rapproche de plus en plus de lui. Veine ! Pour la première fois depuis que je chasse, je vais avoir la bonne fortune de combattre à l'intérieur de nos lignes. Aussi cela augmente la confiance au point de me faire négliger toutes mesures de prudence et même de science tactique.
Un autre motif me pousse à me risquer plus que d'habitude: je ne veux pas qu'il m'échappe et je me fais un point d'honneur de le mitrailler jusqu'à la victoire finale. Quelle joie! si je pouvais seulement loger une balle dans son moteur, ou dans son réservoir d'essence, ce qui l'obligerait à atterrir sur le sol français. J'aurais alors la satisfaction de pouvoir causer avec les vaincus, leur demander leurs impressions sur le duel aérien auquel ils viennent de prendre part.
(Cinq lignes censurées)
Un vieux proverbe français dit: « Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.» J'ai eu ce jour-là l'occasion d'en vérifier la justesse, ainsi qu'on va le voir.
Assez rêvé! Le moment d'agir est venu.
Rapidement je me place à l'arrière et dans l'axe de l'ennemi, dont je suis séparé par une distance de 50 mètres environ. J'ouvre alors le feu de ma mitrailleuse et tire jusqu'au moment où mon appareil, supérieur en vitesse, arrive si près du gros biplace que le télescopage paraît inévitable. Brusquement je ramène la direction à moi et saute l'obstacle, puis retombe en glissade sur l'aile droite. Prenant de la vitesse, je rétablis l'équilibre et me prépare à tenter la chance une deuxième fois.
Malédiction ! Rien ne va plus! Le moteur, âme de mon avion, a reçu une blessure mortelle et est en train de rendre le dernier soupir.
En retournant la tête, je constate que le stabilisateur a aussi été endommagé sérieusement. Mon ennemi ne semble pas vouloir profiter de la situation. Il continue son vol dans la direction de ses lignes. Peut-être l'ai-je touché très sérieusement? Je le souhaite, en tous cas sa fuite me laisse maître du champ de bataille! C'est tout de même une petite consolation. De courte durée toutefois car je descends de plus en plus rapidement. Enfin, j'atterris sur le champ d'aviation de.... 
Pilotes, observateurs, mécaniciens m'entourent et me pressent de questions. Ils ont vu le combat et veulent des détails. Pour l'instant je n'explique pas grand'chose si ce n'est que je suis tombé sur un Boche qui ne comprend pas la plaisanterie! D'ailleurs, j'ai hâte d'examiner les blessures de mon petit avion. Il est bien malade le pauvre ! Trois balles dans le moteur, le réservoir d'essence crevé, un montant du fuselage hors d'usage, plusieurs trous dans le capot, enfin le côté gauche du stabilisateur coupé et déchiqueté par les balles.
D'accord avec les mécaniciens, je décide qu'il est irréparable. Il a fait son dernier vol et sera réformé !

Sous-lieutenant RAOUL LUFBERY.                                Copyright U.S.A. by P.-A. Rockwell.



Le Camel est un avion de chasse anglais créé par la maison Sopwith. C'est avec lui que les aviateurs britanniques attaquent les tranchées. Ils plongent de 3.000 mètres, descendent à moins de 30 mètres et prennent en enfilade les objectifs choisis sur lesquels ils tirent avec une légendaire audace.


Tous les apparetls de l'escadrille des Cigognes sont sortis et vont s'envoler pour aller assurer la police des nues. C'était à l'époque où, dans la célèbre unité, les Guynemer, Dorme, Heurtaux, Deullin, Guiguet, Chanat, Bucquet rivalisaient d'audace pour la plus grande gloire de la 3!


Le Bulgare Garapoff, engagé volontaire. dans l'aviation russe, tué après avoir abattu son troisième Boche. Une balle qui l'avait atteint à l'épaule infecta la plate et provoqua la mort.