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Le sous-lieutenant Lufbery , l'AS Americain, nous narre une victoire

C'ÉTAIT au nord de Verdun dans les environs de Douaumont et Vaux que je faisais une patrouille ce matin-là en compagnie de mon camarade de combat Mac Connell. Tous les deux nous étions partis du champ d'aviàtion de Bar-le-Duc vers les onze heures. Le temps était superbe, l'atmosphère très pur, ce qui nous permettait de distinguer d'une façon très nette les trous d'obus et de mines ainsi que quelques fragments de tranchées. En consultant sa carte, puis sondant du regard le sol l'on peut se rendre compte de l'emplacement des forts dont les murailles massives forment des dessins géométriques au milieu de ce chaos. Quant aux villages qui se trouvaient là ils ont cessé d'exister ; comme le reste on les devine, plutôt qu'on ne les voit. Au milieu des décombres un enchevrêtement de lignes droites courtes et brisées représentent le dernier vestige de ce qui fut des rues.
Un peu absorbé par la vision du grand champ de bataille, j'avais perdu mon compagnon Mac, lequel sans doute devait être aussi un peu distrait.
Me trouvant seul maintenant il faut me tenir sur mes gardes et ne pas me laisser prendre par surprise. Je croise un peu à la manière des voiliers en tirant des bordées à droite et à gauche, cela me permet de surveiller l'horizon dans toutes les directions.
Mon altimètre marque trois mille six, je ralentis mon moteur, car je suis à ma hauteur favorite. Tout à coup mon attention est attirée par un appareil camouflé lequel se trouve environ 1.000 mètres plus bas et qui se dirige du côté des lignes françaises. Je ne peux encore distinguer les marques sur l'appareil, mais la silhouette me paraît douteuse. Il me semble très gros, beaucoup trop gros pour être pris pour un Nieuport lequel est le seul avion français qui offre quelque ressemblance avec le Boche (actuellement il y a le Spad et quelques appareils nouveaux, mais il n'y en avait pas à Verdun à ce moment-là.)
Il n'y a pas une minute à perdre, l'occasion semble trop belle, malgré cela par mesure de prudence je jette un coup d'œil tout autour de moi et au-dessus pour être bien sûr qu'il n'a pas de protection. Cela serait vraiment bête de tomber dans un piège surtout que maintenant je connais leur ruse favorite dont j'ai été la victime plusieurs fois. Très probablement, il ne m'a pas vu, vite il faut que je profite de cet avantage.
Je coupe mon moteur (dans le texte, il est propable que couper le moteur signifiait réduire le moteur) et pique dans sa direction, approchant de plus en plus je distingue enfin les deux jolies croix noires au milieu du camouflage ornant les plans supérieurs. Après quelques brusques demis virages, je réussis à passer son champ de tir et me place à une trentaine de mètres en arrière de son fuselage un peu au-dessous de façon à ce que le plan fixe et gouvernail de profondeur de mon ennemi me servent de bouclier. Il m'a vu! mais il est trop tard, en vain le pilote boche essaie de faire un virage pour permettre à son mitrailleur de tirer. Inutile, ils doivent payer de leur vie leur manque de vigilance. J'appuie sur la gachette qui commande la mitrailleuse pan, pan, pan. et quarante-sept balles sont tirées. C'est l'affaire de quelques secondes. A ce moment nous nous trouvons si près l'un de l'autre que je dois faire un renversement à gauche pour éviter l'abordage. Après avoir redressé mon appareil dans sa position normale, je cherche au-dessous de moi pour suivre la chute de mon adversaire.
Il est bien là, mais chose bizarre et surprenante il est maintenant tout blanc. Pour mieux voir j'enlève mes lunettes et avec satisfaction je constate qu'il a le ventre en l'air, le châssis et les roues qui se trouvent à présent au-dessus me le prouvent. Il ne redresse pas, il continue à tomber désemparé, faisant de larges spirales, je m'effoice de le suivre des yeux dans sa chute, j'observe d'abord une traînée de fumée noire sortant de l'appareil, puis une gerbe de flammes; la dégringolade s'accélère, le feu augmente d'intensité, finalement le brasier aérien s'écroule dans un ravin, à quelques mètres seulement de nos tranées.
Content et fier de moi-même je reprends le chemin du champ d'atterrissage tout en pensant aux braves poilus qui d'en bas ont certainement vu la bataille aérienne et qui sans doute m'ont lancé des encouragements puis ont applaudi à la victoire de l'oiseau aux cocardes tricolores.
R. Lufbery                copyright U.S.A. par P.A. Rockwell