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DEUX MORTS : PAVELKA ET TRINKARD
PAR PAUL AYRES ROCKWELL

Le petit groupe des jeunes Américains qui vinrent s'engager en novembre 1914 pour combattre pour la France —groupe dont il reste à peine une douzaine de survivants en service sur le front — vient d'être cruellement atteint par deux fois en novembre 1917 avec la mort du sergent pilote Paul Pavelka, qui comptait à l'effectif de l'escadrille N.507, en Macédoine, et avec la disparition du caporal pilote Charles Trinkard de l'escadrille N.68. Par une étrange fatalité ces deux jeunes gens qui pendant plus de trois ans avaient réussi à échapper maintes fois de justesse à la mort sur terre ou dans les airs ont péri tous deux par accident.
J'ai déjà raconté dans La Guerre Aérienne comment Pavelka vint en France en 1914 avec l' «Armée de Connani», et, bien qu'il ne sut pas un mot de français, réussit à s'engager dans l'immortelle «Légion Etrangère». Pavelka trouva la vie de soldat à sa convenance ; il s'y montra toujours joyeux et plein de courage dans les tranchées comme à l'attaque. Il prit part aux deux grandes offensives au nord d'Arras, en mai et en juin 1915; à la seconde il fut blessé à la jambe d'un coup de baïonnette au cours de l'attaque de la seconde ligne des tranchées allemandes à la cote 119. Il réussit du reste à tuer celui qui l'avait blessé. Pavelka est le seul Américain que j'aie connu qui ait été blessé à l'arme blanche au cours de cette guerre.
Quand il fut rétabli, il apprit que la plupart de ses anciens compagnons avaient été tués ou étaient inaptes au combat. Il fut versé dans une nouvelle formation de la Légion où il rencontra Trinkard. Ce dernier appartenait à la Légion depuis le mois d'août 1914, après avoir traversé l'Atlantique dans le seul but de combattre les Allemands ; depuis lors il avait pris part aux combats du deuxième régiment, tandis que Pavelka comptait au premier.
Une grande intimité se créa entre les deux jeunes combattants et ils se trouvaient côte à côte le 28 septembre 1915 lorsque la Légion s'empara du fortin allemand du Bois-Sabot, en Champagne. Trinkard tomba, l'épaule droite traversée de deux balles. Pavelka réussit sain et sauf à traverser la fournaise. Quelques jours plus tard il m'écrivait:
« Après huit jours de durs combats je suis au repos dans un petit bois en arrière des lignes. Nous avons mis les Boches en fuite dans ce secteur et nos troupes les forcent encore à reculer. L'attaque a commencé le 25 septembre. Mon régiment fut en réserve jusqu'au 28, puis il fut lancé en avant à la baïonnette contre les batteries de mitrailleuses allemandes dissimulées dans le Bois-Sabot. On tirait sur nous de trois côtés à la fois. Trinkard a été descendu au moment même où nous arrivions aux tranchées allemandes, alors qu'il s'était élancé à la charge avec un superbe courage. Tous nos officiers tombèrent. Ma compagnie perdit 160 hommes mais nous réussîmes à nous emparer de nos objectifs.
« Je n'ai pas eu une égratignure mais mes vêtements sont presque en lambeaux par les éclats d'obus. Un coup de canon a éclaté à deux mètres à peine devant moi et j'ai aussi reçu une décharge justesur mon nouveau bouclier en acier. Mon fusil a été réduit en pièces, les fragments me restant dans les mains. J'ai l'air d'un malheureux, mais je me sens heureux, après un tel plongeon en pleine eau...».
Quelques semaines plus tard Pavelka passa dans l'aviation et rejoignit en juillet 1916 l'escadrille La Fayette à l'armée de Verdun. Au mois de novembre de la même année il descendit un avion allemand dans la Somme. Pavelka, quoiqu'il en soit, avait l'âme d'un bohémien, et n'aimait pas rester longtemps au même endroit. Aussi en janvier 1917, il s'en fut au front de Salonique. Une lettre me donnait ses impressions de là-bas: 
«Je suis content d'être venu ici, car c'est beaucoup plus intéressant que le front français. J'ai un Nieuport, je suis attaché à une escadrille de chasse; il y a pour nous du travail dur en abondance, et cela me met en joie.»
Dans une autre lettre il me disait:
« Maintenant j'ai deux avions, si bien que je fais à la fois la chasse et le bombardement. Pour cette dernière spécialité j'ai comme passager un officier grec, excellent garçon qui parle couramment le français et l'anglais. Il fait plus chaud que justice ici, et chacun souffre de la chaleur. Nous errons autour du camp à l'état de nature, sans autre costume qu'un casque pour protéger la tête des coups de soleil. Le général Sarrail vient de me citer à l'ordre de l'armée.»
Pendant ce temps Trinkard, après de longs mois de souffrances s'était rétabli et avait rejoint la Légion sur le front à temps pour prendre part aux opérations de la Somme. En avril 1917, il entra dans une école d'aviation comme élève pilote et au début de septembre fut affecté à la N. 68, sur le front de Lorraine. Il m'écrivait, après son premier combat aérien :
«J'ai eu un combat deux jours après mon arrivée ici, mais mon Allemand n'était pas brave. Je volais à une altitude d'environ 6.000 mètres quand je remarquai des éclatements d'obus nettement à l'intérieur de nos lignes. Je vins bord à bord auprès du pilote français qui m'accompagnait pour les lui signaler, puis je me hâtai vers les flocons de fumée. Bientôt j'aperçus un avion boche à plusieurs centaines de mètres au-dessous de moi Je plongeai vers lui et j'ouvris le feu, mais au lieu d'accepter le combat il s'enfuit dans ses lignes. Je le suivis pendant quelque temps. Je savais déjà ce que c'était que d'être bombardé dans les tranchées maintenant je sais ce que c'est dans l'air, car les canonniers boches cherchaient sûrement à me descendre avec leurs batteries anti-aériennes.»
Le 12 novembre dernier Paul Pavelka essayait de monter un cheval vicieux appartenant à un régiment de cavalerie anglaise campé près du champ d'aviation. Et lui que la mort avait frôlé pendant huit années de navigation dans les tempêtes de tous les océans, qui avait échappé à douze mois de combats dans les tranchées et à seize mois de batailles aériennes, fut tué net dans une chute de cheval.
Aussitôt que j'eus appris la mort de Pavelka j'écrivis à Trinkard. Mais «Trink» n'a jamais lu ma lettre; il avait déjà rejoint outre tombe le «marin».
Le légionnaire Christopher Charles me fit le récit de la mort de Trinkard dans une lettre écrite le 29 novembre, jour où son ancien camarade fut tué: 
«Notre pauvre petit Trinkard volait au-dessus du village où nous sommes cantonnés, vers onze heures moins le quart, le matin, avec deux autres pilotes de son escadrille. Tous trois se livraient aux acrobaties aériennes et Trinkard faisait de superbes glissades et des loopings. Tous les gars de la Légion admiraient son adresse lorsque tout d'un coup il se mit en vrille. Trinkard ne put rétablir son appareil et la chute continua tout droit jusqu'au sol. La colonne vertébrale et les deux jambes étaient brisées. Il avait été tué sur le coup.
« Il portait l'uniforme khaki et la fourragère rouge de la Légion. Les premiers soldats qui arrivèrent auprès de l'aéroplane brisé ignoraient le nom du pilote qui était tombé, mais lorsqu'ils reconnurent la décoration qui est le signe distinctif de notre corps et qu'ils surent ainsi que c'était l'un de leurs camarades de régiment qui venait de se tuer ils eurent une grande douleur. Je puis vous assurer que les engagés volontaires américains ont été particulièrement attristés, car Trinkard était un brave garçon et avait fait vaillammant son devoir à la Légion. Il semble navrant qu'un soldat qui avait survécu à tant de batailles et avait enduré tant de souffrances ait finalemen trouvé la mort dans un tel accident. Trinkard avait fait plus que son devoir pendant cette guerre, et cela joyeusement.»
Trinkard a été enterré au cimetière militaire de Toul et tous ses anciens camarades américains encore survivants à la Légion reçurent une autorisation spéciale pour assister à ses obsèques. Son souvenir et celui de son vieil ami Pavelka demeureront chez tous ceux qui les connurent et qui rendent hommage à la vaillance avec laquelle ils ont combattu pour les trois couleurs françaises.                                                      PAUL-AYRES ROCKWELL















Le sergent Paul Pavelka est le seul aviateur américain qui défende notre cause à Salonique. Avant de s'y rendre, il avait déjà abattu un avion sur le front français.
Il demanda à faire partie des escadrilles de l'armée d'Orient.