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SOLDATS DU CIEL POUR LA FRANCE (1) PAR JAMES R. MAC CONNELL

Quelques jours avant sa mort, le sergent James R. Mac Connell avait publié dans le World's Work, le grand magazine américain, l'étude suivante, que nous sommes heureux de reproduire.

Le 12 octobre vingt avions minuscules, groupés en V à une telle hauteur qu'on eut dit un passage d'oiseaux migrateurs, traversaient le Rhin à son entrée dans les plaines d'Alsace et, tournant droit au Nord, pointaient dans la direction des fameuses usines Mauser, d'Oberndorf. Dans leur sillage suivaient, en nombre égal, des aéroplanes plus volumineux, au-dessus desquels évoluaient de rapides avions de combat. Le premier groupe de cette escadre aérienne était anglais, le second français ; trois des avions de
chasse étaient pilotés par des Américains engagés sous les couleurs françaises. Tel était l'assemblage cosmopolite qui effectua cet heureux raid aérien.
Nous, les aviateurs américains, groupés en une escadrille, nous avions combattu dans les secteurs aériens de la bataille de Verdun depuis le 20 mai quand l'ordre nous arriva, au milieu de septembre, de laisser nos appareils à une unité qui allait nous remplacer, et de nous rendre au Bourget, centre d'aviation voisin de Paris. Les mécaniciens et le reste de l'effectif déménagea suivant l'usage, avec son matériel, par tracteurs. Quant aux pilotes, par exception, ils ne prirent pas le chemin des airs, mais s'embarquèrent à Bar-le-Duc dans l'express de Paris avec tout l'enthousiasme d'écoliers en vacances. On leur accordait une semaine de permission dans la capitale! Où iraient-ils ensuite, ils l'ignoraient, mais ils supposaient qu'on les enverrait dans la Somme. En réalité l'escadrille allait être dirigée sur Luxeuil, dans les Vosges, pour participer à un raid contre les usines Mauser.
Outre le capitaine Thenault et le lieutenant de Laage de Maux, nos officiers français, il y avait à cette époque à l'escadrille les aviateurs américains suivants: le lieutenant Thaw, qui était retourné au front malgré une blessure au bras incomplètement guérie; les adjudants Norman Prince, Hall, Lufbery, Masson; les sergents Kiffin Rockwell, Hill, Pavelka, Johnson et Rumsey. J'avais été envoyé à l'hôpital à la fin août, à la suite de contusions dans les reins résultant d'un capotage à l'atterrissage et je ne devais rejoindre l'escadrille que plus tard.
Chaque unité d'aviation a ses mascottes. Autour du champ on trouve des chiens de toutes races. Les Américains, pendant leur séjour à Paris, eurent l'idée d'enrichir leur ménagerie d'un lionceau du nom de «Whiskey». Notre petit compagnon était né sur un bateau, au cours d'une traversée d'Afrique et on l'avait mis en vente en France. Quelques-uns des pilotes américains se cotisèrent et l'achetèrent. C'était un bébé lion gracieux, aux yeux vifs, qui s'essayait à mugir de la manière la plus effrayante, mais se montrait satisfait au possible dès que l'un de nous lui donnait son doigt à mordiller. «Whiskey» eut une sérieuse connaissance de Paris pendant les quelques jours qu'il y vécut, car toujours l'un ou l'autre de nous venait le chercher pour l'emmener quelque part avec lui. Comme la plupart des lions en captivité il se familiarisa avec les bars, mais ce que «Whiskey» y put voir ne fut pas pour l'en rendre fou.
L'ordre vint qui appelait l'escadrille à Luxeuil et avec un adieu au «gai Paris» notre troupe se présenta au train pour Belfort avec armes et bagages et avec son lion. Les lions, nous fut-il affirmé, ne sont pas admis dans les compartiments de voyageurs. Nous expliquons que «Whiskey» était tout à fait tranquille et désireux d'observer les règles de la bienséance lorsque le damné bougre se mit à rugir en cherchant à se jeter sur les doigts de l'employé. Il en résulta que deux d'entre nous restèrent pour emballer «Whiskey» dans une caisse à claire-voie et l'emmener le jour suivant.
L'escadrille s'enrichit à Paris de Robert Rockwell, de Cincinnati, qui venait de terminer son entraînement de pilote et attendait une affectation à la Réserve Générale. Il était venu en France comme chirurgien pour l'un des hôpitaux de guerre américains, mais il eut horreur de rester à l'arrière et s'engagea dans l'aviation. La durée de l'apprentissage pour un pilote, spécialement lorsqu'il doit monter un avion de chasse, a beaucoup augmenté. Il ne suffit pas actuellement d'apprendre à voler sur les différents types d'appareils, mais on doit compléter l'entraînement dans les écoles de tir aérien et dans d'autres où l'on enseigne le combat, les évolutions en groupe et toutes les acrobaties, y compris l'inévitable «looping». Au demeurant, l'apprentissage demande de sept à neuf mois.

Dennis Dowd, de Brooklyn (Etat de New-York) est, autant que je sache, le seul aviateur volontaire américain qui se soit tué à l'entraînement. Dowd, qui était entré à la Légion étrangère peu après la déclaration de guerre, avait été grièvement blessé au cours de l'offensive de Champagne. A la suite de sa guérison il passa sur sa demande dans l'aviation. A l'école, à Buc, il était classé en tête des quinze Américains élèves-pilotes et on le considérait comme l'un de ceux dont l'avenir promettait d'être le plus brillant. Le août 1916, tandis qu'il faisait l'un derniers vols d'entraînement au brevet, Dowd fit une chute d'une hauteur de 80 mètres et fut tué sur le coup. S'était-il évanoui ou y avait-il eu rupture d'une commande, on ne l'a jamais su. Tandis qu'on le soignait à l'hôpital, après sa blessure en Champagne, Dowd avait reçu des colis d'une jeune fille de Neuilly. Une correspondance avait suivi et quand il était allé en convalescence à Paris il s'était fiancé avec la jeune Française. Il se tua peu avant la date fixée pour son mariage.
Quand l'escadrille arriva à Luxeuil, elle fut fort surprise d'y trouver un détachement important de l'aviation anglaise. Ce groupe, du Royal Navy Flying Corps, ne comprenait pas moins de cinquante pilotes et d'un millier d'hommes. Des hangars neufs abritaient leur escadre d'avions de bombardement. Les Anglais avaient même leurs batteries anti-aériennes perde sonnelles, installées autour du champ. Cette unité, bien que détachée de l'armée anglaise et sous le commandement français recevait de son intendance nationale tout son ravitaillement et avait son service propre de transports.
Notre escadrille resta à Luxeuil en avril et mai. Nous nous étions faits dans la ville et parmi les pilotes français beaucoup d'amis, au point que les anciens de l'unité américaine étaient reçus partout à bras ouverts et que les nouveaux venus se sentaient chez eux dans la cité vosgienne. Il ne fallut pas longtemps, cependant, pour que les Américains et les Anglais fissent vie commune. Au premier abord il y eut une certaine réserve de part et d'autre, mais sitôt la glace rompue, ce fut l'amitié. Les pilotes de la marine anglaise représentaient bien le Royaume-Uni, car ils venaient de tout l'Empire, Angleterre, Canada, Nouvelles Galles du sud, Afrique anglaise, que sais-je encore. Pour la plupart c'étaient des soldats de métier. Ils étaient tous officiers, mais aussi dénués de morgue qu'on peut l'être. Aussi en résulta-t-il un continuel échange d'invitations et une sorte d'alliance anglo-américaine où les uns et les autres s'appelaient par leur prénom avec toute la familiarité d'une amitié de longue date.
«Nous ne savions pas que vous, les Yankees, vous étiez ainsi», nous déclarait un Anglais un jour. «Nous pensions que vous étiez fiers du fait que vous étiez des volontaires, mais je vois que vous êtes une bande de bons bougres.» Cela, je vous l'affirme, était un fameux compliment.
Il y eut du tirage pour avoir chacun à l'escadrille notre appareil neuf. Il nous en fut livré seulement cinq. C'était un nouveau type d'avion de chasse Nieuport. Au lieu de trente mètres de surface portante il en avait quinze et la mitrailleuse Lewis à quarante-sept cartouches y était remplacée par la Wickers à cinq cents cartouches, montée sur le capot, et qui, par suite d'un réglage spécial, tirait à travers l'hélice. Le 15 mètres Nieuport monte à une terrible allure, s'élevant à 2.000 mètres en 6 minutes et son plafond, avec un pilote adroit, est à près de 6.000 mètres.
En attendant l'arrivée des nouveaux avions c'était le farniente. Il n'y avait rien de mieux à faire que de flâner autour de notre hôtel où les pilotes américains avaient établi leurs quartiers, d'aller rendre visite aux anglais, dans leurs baraquements à l'aérodrome, ou de faire des excursions. Cela avait autant de rapport avec la guerre qu'une conférence de Bryan.
Quand j'étais encore à l'hôpital je reçus à cette époque une lettre de l'un de mes compagnons. En l'ouvrant je m'attendais à lire le récit d'un combat aérien. Elle m'informait que Thaw avait pris une truite de trois livres et que Lufbery avait réussi à récolter deux pleins paniers de champignons.
Chaque jour les avions anglais s'entraînaient à évoluer groupés. La régularité avec laquelle l'escadre aérienne prenait le départ était remarquable. Les vingt Sopwiths s'élevaient à intervalles réguliers, volaient en lignes en V, exécutaient en ordre les évolutions les plus délicates et atterrissaient à la file avec une régularité d'horloge. Les pilotes français volaient sur Farman et sur Bréguet de bombardement chaque fois que le temps le permettait. Nous savions tous qu'une grande expédition était en préparation, mais l'objectif que nous aurions à atteindre nous était inconnu.
Etant donné le nombre considérable des avions qui évoluaient continuellement au-dessus de l'aérodrome de Luxeuil il est surprenant qu'il n'y ait eu que deux accidents mortels. L'un se produisit alors qu'un pilote anglais, pour l'entraînement au tir à la mitrailleuse, piquait à fond sur une cible. Il ne put pas redresser. Le pilote et son mitrailleur furent tués. Dans le second accident je perdis un bon ami, un jeune français. Il était parti avec son passager sur biplace Nieuport. Un jeune pilote canadien, ayant à bord un officier français, le suivait sur Sopwith. A trois cents mètres les deux appareils firent un simulacre de chasse. Dans une évolution trop serrée le bord des ailes des deux avions se rencontra. Le Nieuport s'effondra en tournant sur lui-même, ses ailes se replièrent et il tomba comme une pierre. Le Sopwith plana une seconde ou deux, puis ses ailes cedèrent et il suivit le Nieuport dans sa chute. Les deux hommes de chaque avion se tuèrent sur le coup.
A part l'incendie, la chute avec un avion brisé est la pire mort qu'un aviateur puisse trouver. Je ne connais rien de plus sinistre que le bruit d'un appareil qui s'écrase au sol. La respiration coupée, chacun avait vu l'appareil désemparé naufrager dans l'air. L'agonie que doivent vivre à ce moment le pilote et le passager, vous la sentez en vous. Vous êtes sans espoir qu'il soit possible d'éviter la mort certaine. Vous ne pouvez même pas détourner vos yeux au moment du désastre.
Dans ce grondement sourd et qui craque il y a le son des os qui se brisent.
Luxeuil était un excellent milieu pour observer les différences qu'il y a en aviation entre Français, Anglais et Américains, différences qui, au demeurant, devant la tâche à accomplir, disparaissent. Le Français, par nature, est plus vite à son aise en aviation et plus adroit. Il lui est plus facile d'apprendre à voler qu'à l'Anglais ou à l'Américain, mais dès qu'ils ont la pratique de leur appareil et l'habitude de l'air, les uns comme les autres font égale besogne. Le Français y montre un peu plus de perçant et y ajoute quelques fioritures mais l'Anglais avec calme poursuit sa mission en y obtenant les mêmes résultats. Quant à l'Américain, il participe de l'un et de l'autre sans être ni inférieur, ni meilleur. Malgré qu'il existe en Allemagne beaucoup de pilotes expérimentés je ne crois pas que la moyenne des aviateurs boches vaille les pilotes Français, Anglais ou Américains.
Malgré leurs bombardements de villes ouvertes et l'usage qu'ils font pour leurs mitrailleuses d'avions, de balles explosives, les Boches se sont montrés en aviation sous un meilleur jour que dans n'importe quelle autre arme et rares sont les pilotes des «Huns» (1) qui ne conservent pas un reste de décence et d'honneur.
Je me souviens d'un fait qui en est la preuve.
L'un d'eux, très jeune mais ancien pilote, fut sollicité par un vieux capitaine dont le régiment se trouvait près de son aérodrome, à Etain, à l'est de Verdun, de l'emmener dans l'une de ses sorties. L'aviateur allemand avait à essayer un nouvel appareil, il prit l'officier comme passager. Par bravade, pris du désir de donner au fantassin une impression inoubliable, il passa les lignes et vint survoler un aérodrome français. Par malheur pour lui, il rencontra trois avions de chasse français qui aussitôt ouvrirent le feu. Le pilote allemand fut blessé à la jambe, son réservoir d'essence traversé. Il dut se résoudre à atterrir sur l'aérodrome ennemi où on le fit prisonnier avant qu'il ait eu le temps de mettre le feu à son appareil. On s'aperçut alors que sa mitrailleuse était à balles explosives. Un officier français, se tournant vers le capitaine allemand, l'informa qu'il allait vraisemblablement être fusillé pour port de balles explosives. L'observateur d'occasion n'y comprenait rien.
— Ne le fusillez pas, dit le pilote, en excellent français. Si vous devez fusiller quelqu'un, c'est moi. Le capitaine n'a rien à voir avec ces balles; il ignore même la manœuvre de la mitrailleuse. C'est là son premier voyage en aéroplane.
— Soit, lui répondit l'officier français si vous fournissez des renseignements utiles nous ne vous fusillerons pas.
- Des renseignements! répondit l'Allemand. Je ne puis vous en donner aucun. Je viens d'Etain et vous savez aussi bien que moi où cela se trouve.
— Non, ce n'est pas cela ; vous avez à me fournir des informations utiles, sinon, je le crains pour vous, vous serez fusillé.
— Si je vous donnais une information utile, répondit le pilote, vous en profiteriez et ce serait la mort de nombreux soldats. Si je ne le fais pas vous n'en tuerez qu'un. Allez-y!
Inutile de dire que le pilote allemand ne fut pas fusillé et que l'on eut des égards pour son courage.
LA MORT DE KIFFIN ROCKWELL
Kiffin Rockwell et Lufbery furent les premiers à avoir leurs nouveaux appareils et le 23 septembre, ils firent tous deux leur premier vol depuis l'arrivée de l'escadrille à Luxeuil. Sitôt en l'air ils partirent chacun de leur côté, ce qui était dangereux dans ce secteur d'Alsace. C'est que là-bas si la guerre de tranchees est peu intense il y a par contre une grande activité aérienne. Elle était dûe à cette époque à la présence à Luxeuil des escadrilles françaises et anglaises. A la menace (1) Voir le n° 25 de La Guerre Aérienne Illustrée. qu'elle constituait les Allemands, avait dû opposer un grand nombre d'avions de combat. J'estime qu'il n'y avait pas moins de quarante Fokkers rien que dans les champs d'aviation de Colmar et de Habsheim. Leurs appareils de reconnaissances protégés par deux ou trois avions de chasse, s'aventuraient loin dans nos lignes. C'est là un risque que les Allemands n'osent affronter nulle part ailleurs. Ils avaient une ruse spéciale qui consistait à envoyer un aéroplane de grandes dimensions et très lent dans nos lignes. Il servait d'appât et quand un avion français fonçait sur lui, deux Fokkers plongeant de très haut et venaient prendre l'assaillant par derrière. Il n'avait guère de chances d'échapper une fois tombé dans le piège.
Au moment où Kiffin Rockwell allait atteindre les lignes il découvrit un aéroplane allemand au-dessous de lui, à 3.500 mètres. J'imagine la joie qu'il dut éprouver à trouver enfin un ennemi à l'intérieur de nos lignes. C'est qu'en effet Rockwell avait déjà eu à lui seul plus de combats que nous tous réunis, mais les nombreux Allemands qu'il avait abattus étaient tous tombés dans leurs lignes. C'était la première fois qu'il avait l'occasion de descendre un Boche chez nous.
Un capitaine, qui commandait dans un village d'Alsace, suivait le combat à la jumelle. «Rockwell, déclara-t-il, s'approcha si près de l'avion ennemi que je craignis une collision.» L'appareil allemand, qui était armé de deux mitrailleuses, avait ouvert le feu dès qu'il avait vu Rockwell piquer vers lui. L'aviateur américain plongea à travers ses rafales et c'est seulement lorsqu'il fut tout près de lui qu'il commença a riposter. Au début, le capitaine eut l'impression que l'avion allemand allait être descendu, puis il vit l'appareil français faire soudain demi-tour et piquer ; les ailes, sur un côté se détachèrent et flottèrent dans le sillage de l'aéroplane qui s'abattait au sol dans une chute vertigineuse. Il s'écrasa dans un petit champ — un champ de fleurs — à quelques centaines de mètres à l'arrière des tranchées. C'était à quatre kilomètres de là, environ, que Rockwell, au mois de mai, avait descendu son premier avion ennemi. Les Allemands ouvrirent immédiatement sur l'avion naufragé un feu d'enfer. Malgré la pluie de leurs shrapnells, les artilleurs d'une batterie voisine se précipitèrent pour ramener le corps du pauvre Rockwell. Il avait une affreuse blessure, une balle explosive lui ayant complètement arraché la gorge. Un docteur qui examina le cadavre certifia que si Rockwell avait été blessé par un projectile ordinaire il aurait pu atterrir, bien que grièvement atteint. Mais avec les engins barbares il fut tué dès l'instant où le projectile interdit l'atteignit.
Lufbery prit contact avec un avion boche, mais avant qu'il ait pu le réduire à merci, deux Fokkers vinrent en plongeant l'attaquer par derrière et criblèrent de balles les plans de son avion. Manquant de munitions il atterrit à Fontaine, un aérodrome à proximité des lignes. C'est là qu'il apprit la mort de Rockwell et fut informé que deux avions français venaient d'être descendus en moins d'une heure. Il ordonna de faire le plein, se procura des bandes de cartouches de mitrailleuse et s'élança dans les airs pour venger son compagnon d'armes. Il fit le va-et-vient le long des lignes, sans succès, puis un large crochet jusqu'à Habsheim, où les Allemands avaient un champ d'aviation. Ce fut en vain. Pas un Boche dans l'air.
La nouvelle de la mort de Rockwell avait été téléphonée à l'escadrille. Le capitaine, le lieutenant et quelques hommes sautèrent dans une voiture légère pour courir où il était tombé. A leur retour les pilotes américains furent réunis dans l'un des salons de l'hôtel et les nouvelles leur furent communiquées. Avec des larmes dans les yeux, le capitaine leur dit : «Le meilleur, le plus brave d'entre nous n'est plus.»
C'était le coup le plus dur qui put frapper l'escadrille. Kiffin en était l'âme. Il était aimé et estimé non seulement de tout notre groupe mais de tous ceux qui le connaissaient. Kiffin était imbu de la noblesse de la cause pour laquelle il combattait et mettait tout son cœur, toute son âme dans l'accomplissement de son devoir. Il disait: «Je paye ma dette à Lafayette et à Rochambeau», et il payait largement. L'esprit chevaleresque d'autrefois vivait dans la vie si claire et si frémissante de notre ami de toute sa flamme. Sa mort faisait perdre à la France l'un de ses meilleurs pilotes. Lorsqu'il volait au-dessus des lignes, les avions allemands ne passaient pas — et il y était tout le jour. Il avait descendu quatre appareils ennemis officiellement reconnus, et le lieutenant de Laage qui était son partenaire de combat disait qu'il avait la conviction que Rockwell avait à son actif beaucoup d'autres adversaires abattus trop loin dans les lignes allemandes pour être contrôlés. Rockwell avait gagné la Médaille Militaire et la Croix de Guerre avec quatre palmes, pour quatre magnifiques citations à l'ordre de l'armée. Il était, pour son travail si fructueux contre l'ennemi, proposé pour le grade de sous- lieutenant. Malheureusement sa nomination ne nous parvint que quelques jours après sa mort.
La nuit qui précéda la mort de Rockwell il déclara que s'il était descendu il aimetait être enterré à l'endroit même de sa chute. Il était impossible, toutefois, de laisser reposer son corps si près des tranchées. Le cadavre fut recouvert du drapeau tricolore et ramené à Luxeuil. On lui fit des funérailles dignes d'un chef. Son frère Paul, qui avait combattu dans la Légion Etrangère à ses côtés et qui avait été réformé après blessure, eut la permission d'assister aux obsèques. Des pilotes de tous les aérodromes environnants vinrent survoler le cortège pour rendre hommage aux restes de Rockwell. Tout ce qu'il y avait d'aviation française à Luxeml suivait la bière. Les pilotes anglais accompagnés de cinq cents hommes de leur groupe d'aviation, s'étaient joints au convoi. Un bataillon de troupes françaises formait la haie. Tandis que lentement la procession des soldats bleu horizon et khaki se rendait de l'église au cimetière les aéroplanes en larges cercles évoluaient à faible hauteur en jetant des fleurs.
La mort de Rockwell avait augmenté notre impatience à tous d'accroître notre activité et ceux — peu nombreux — qui avaient un appareil étaient constamment à la poursuite des Boches. Prince en descendit un. Lufbery, le plus adroit et le plus heureux de tous les «chasseurs» de l'escadrille, s'aventurait au loin dans les lignes ennemies, allant jusqu'à descendre en spirales au-dessus d'un camp d'aviation allemand pour les défier de se mesurer avec lui. Un jour il les vit s'élever pour venir à sa rencontre. Par malheur il était à bout d'essence et dut faire demitour à l'instant où ils s'envolaient. Prince à ce moment était à la recherche d'un combat. Il l'eut. Il fonça dans le groupe que Lufbery avait fait lever. Son aéroplane fut atteint par plusieurs projectiles. L'un d'eux vint exploser sur le bord d'attaque de l'aile inférieure qu'il brisa. Un autre traversa l'un des montants. Par miracle l'appareil put continuer sa route et Prince réussit à rentrer de Mulhouse, où avait eu lieu le combat jusqu'à l'aérodrome de Luxeuil.
LA SCIENCE DU COMBAT DE LUFBERY
Le jour même où Prince avait été si près d'être descendu, Lufbery n'échappa que de justesse à la mort. Il venait de refaire le plein d'essence et était reparti pour une nouvelle sortie. Lorsqu'il se trouva à nouveau sur les lignes il fit la rencontre d'un avion allemand qui était pour lui une vieille connaissance. Lui et le Boche, qui était un excellent pilote, s'étaient déjà trouvés plusieurs fois face à face. Ils étaient aussi adroits l'un que l'autre. Lufbery manœuvra pour prendre une position favorable à l'attaque, mais l'Allemand, avant qu'il ait pu tirer, parvint par sa virtuosité à s'échapper.

SERGENT MAC CONNEL, Volontaire américain, tué au service de la France.
(A suivre.)










(I) Les Anglais ont coutume de désigner les boches sous cette dénomination.


Les photos dans les planches ci-dessous

-UN LIONCEAU APPRIVOISÉ!
De gauche à droite, les pilotes Kiffin Rockwell (tué), William Thaw et Paul Pavelka avec le lionceau de l'escadrille Whiskey. Récemment, une camarade a été achetée pour Whiskey. Elle a été baptisée Soda.
-L'AS DE L'ESCADRILLE AMÉRICAINE
L'adjudant Lufbery, l'ancien mécanicien du fameux champion Marc Pourpe, a tenu à venger son ami, tombé au champ d'honneur. Il a huit avions ennemis à son actif et sa poitrine porte la Médaille Militaire, la Légion d'Honneur et cinq palmes.
-LE SERGENT BALSLEY
Le sergent Balsley, que l'on voit en train d'apprendre le français avec des poilus, a été très grièvement blessé dans un combat héroïque et restera boîteux.
-L'ADJUDANT NORMAN PRINCE
L'adjudant Norman Prince, l'une des glorieuses victimes de l'escadrille américaine, rentre d'une croisière au cours de laquelle il abattit un avion ennemi aux Eparges. Norman Prince, Chapman, Dowd, Rockwell, Mac Connell, Genet, Hoskier sont les aviateurs américains morts pour la France. Le sergent américain Genet dont nous avons publié une lettre où il donnait le récit de la mort de Mac Connell a été tué le 16 avril dans un combat aérien.
mettait d'être le plus brillant.
-LE SOUS-LIEUTENANT ROCKWELL
Le sous-lieutenant Kiffin Yates Rockwell, tué dans un combat, était un pilote d'une audace et d'une adresse qui faisaient l'admiration de tous.
-LES AVIONS DE L'ESCADRILLE AMÉRICAINE
Si l'on excepte la N. 3 qui compte parmi ses pilotes nos plus grands as et la N. 65 dont l'étoile fut le fameux sous-lièutenant Nungesser, l'escadrille américaine est l'une de celles qui compte le plus de Boches à son tableau de chasse. Elle a dépassé la trentaine.
- LE SERGENT HAVILAND
Le sergent Haviland fait partie de l'un des plus récents contingents américains venus s'engager dans notre cinquième arme. C'est un pilote de grande valeur.