contat
lepeps

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INDEX
CEUX QUI ONT VOULU MOURIR POUR LA FRANCE
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SUR LA TOMBE DE SON FRÈRE !
Quoi de plus
tragique que ce décor. Une croix
de bois en plein champ. A côté,
deux pilotes recueillis prient
pour le repos de l'âme de leur
camarade mort au champ
d'honneur. Le canon tonne,
menaçant les échos de la
bataille retentissent. Et,
devant la terre fraîchement
remuée qui représente la tombe,
un civil est là debout. Il
pleure, il souffre il donne
libre cours à sa douleur.
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C'est
Paul Ayres Rockwell, ancien
légionnaire, qui donne un
suprême adieu à son frère tué
glorieusement pour la France.
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I.
-- DÉBUTS - SUCCÈS - DEUILS
II. - LES AMÉRICAINS A LA LÉGION
III. -- L'AS AMÉRICAIN: LUFBERY
IV. - LES PREMIERS DEUILS
LA
PREMIÈRE SORTIE SUR LES LIGNES
SEUL CONTRE SEPT
VERDUN
PAR LE SERGENT MAC CONNELL
LE
SERGENT PILOTE PAUL PAVELKA à Salonique
Deux
morts, Pavelka & Trinkard
Didier
Masson, Français
naturalisé Américain, capitaine
aviateur au Mexique, adjudant à
l'Escadrille La Fayette, .
Douglas
Mac Monagle, l'un des engagés
volontaires américains les plus valeureux.
Lufbery
narre un victoire
Un
coup dur! par Lufbery
Lufbery,
un héros disparaît 19
mai 1918
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L'ESCADRILLE LA FAYETTE
CEUX QUI VEULENT MOURIR
POUR LA FRANCE
PAR JACQUES
MORTANE 1917/02/22
LES CRÉATEURS DE L'ESCADRILLE
ci-contre
De gauche à droite: Norman
Prince, Elliot Cowdin, William Thaw
qui prirent L'initiative du beau mouvement
des Américains venant s'engager pour la
France.
Le caporal Fred
Prince, dès que son frère Norman
Prince se fût tué, vint s'engager pour
pendre sa place. 
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Nous publions aujourd'hui cet
article que la censure nous avait priés de
ne pas insérer dans notre numéro 3. Nous
sommes heureux d'avoir obtenu enfin
l'autorisation qui nous permet de rendre
hommage aux Américains qui n'ont pas hésité
à venir prendre les armes à nos côtés. (54
lignes censurées).
Le tableau de chasse de l'escadrille
américain prouvera mieux que n'importe
quelle considération l'origine de
l'indignation boche.
Adjudant Lufbery.................6 avions
abattus.
Adjudant Norman Prince ....4 appareils
abattus.
Adjudant Hall......................3 avions
abattus.
Sergtnt Chapman.................2
--------------
Lieutenant Thaw.............. ...2
--------------
Sergent Rockwell................ 3
--------------
Maréchal des logis Cowdin 1 --------------
Adjudant Didier Masson.... 1 --------------
Lieutenant Delage de Meu. 1 --------------
Sous-lieutenant Pavelka.... 1
--------------
Sergent Johnson................. 1
--------------
Soit, au 15
février: 25 appareils descendus à l'actif du
groupe glorieux. Hélas! ce n'était pas sans
perte et tour à tour tombèrent Chapman,
Rockwell et Norman Prince, et le sergent
Balsley fut blessé grièvement.
Peut-on rêver quelque chose de
plus beau que ce geste de jeunes gens,
riches pour la plupart, à qui l'existence
sourit, qui appartiennent à un pays neutre!
La guerre éclate. Ils aiment la France, ils
y viennent passer chaque année quelques
semaines. «Nous avons goûté les plaisirs de
la France, disent-ils, nous partagerons ses
souffrances». Et ils s'engagent, ils mettent
leur vie à la disposition
de la nation, pour rendre, selon leurs
propres paroles, «la politesse qu'ont
faite autrefois à l'Amérique La Fayette et
Rochambeau»
C'est au mois
de décembre 1914 que Frazier Curtiss et
Norman Prince, de Marblehead
(Massachussets), résolurent de venir
combattre à nos côtés. Bientôt plusieurs
étudiants des Universités se joignaient à
eux: James Bach (fait prisonnier au cours
d'un combat aérien), Elliot Cowdin, H. G.
Gerin, Bert Hall, Didier Masson (Français
naturalisé Américain) qui servit, comme
aviateur, au moment du soulèvement du
Mexique, Andrew Ruel et William Thaw. Au
début de 1915, ils arrivaient à Paris et
signaient leur engagement. Ils commençaient
leur instruction dans deux de nos grandes
écoles. Hommes de sport, habitués à tous les
exercices physiques, le plus beau leur parut
l'aviation afin de «combattre
pour la liberté
de toutes les nations».
Munis du brevet
militaire, ils allaient prendre du service
au front, soit comme chasseurs, soit dans
des groupes de bombardement. Tous faisaient
preuve des plus belles qualités, recevaient
des récompenses, souvent trop
parcimonieusement accordées, et se
comportaient de telle façon que le
commandement décidait, au cours de l'année
1916, de les réunir tous dans une seule
escadrille. Les bombardiers passèrent sur
avion de combat et retrouvèrent à l'école de
nombreux autres camarades venus d'Amérique
afin de s'engager directement dans
l'aviation ou réformés de l'infanterie pour
blessures.
Le chef de
l'escadrille, le capitaine T. et son
adjoint, le lieutenant de L. de M., seuls,
sont Français. William Thaw, de simple
soldat est devenu lieutenant et a reçu la
Légion d'Honneur. Il est le seul officier
américain du groupe dont un membre a vu
paraître son nom au communiqué : l'adjudant
Lufbery.
Le capitaine T.
ne peut que se vanter de ses vaillants
pilotes, tous disciplinés et dont l'esprit
militaire joint aux qualités de sportsmen et
d'aviateurs, fait considérer l'escadrille
comme l'une de nos plus remarquables,
toujours aux places d'honneur: après
l'Alsace, elle fut envoyée à Verdun, puis
dans la Somme.
Nous parlerons
d'abord des victimes.
Le 23 juin
1916, le sergent Victor Chapman, trouvait la
mort aux environs de Douaumont. On prétend
qu'il fut abattu par le capitaine Boelke.
Trois membres
de l'escadrille : le capitaine T., les
sergents Prince et Lufbery se battaient
contre quatre avions ennemis, lorsque
Chapman, apercevant la lutte, se précipitait
dans la mêlée et, avec une furia héroïque,
abattait un adversaire et obligeait un autre
à atterrir. Il se préparait à continuer son
oeuvre de vengeance, lorsqu'un Fokker le
surprenait par derrière, le perçait de
balles et le tuait.
Grâce à lui,
ses camarades avaient trouvé leur salut.
Chapman avait
déjà été cité à l'ordre de l'armée. C'était
un pilote d'une audace remarquable,
s'élançant sur les avions ennemis quel qu'en
soit le nombre et quelle que soit
l'altitude. Le 24 mai 1916, seul, il avait
attaqué trois appareils : au cours du
combat, ses vêtements avaient été traversés
de plusieurs balles et il avait été blessé
au bras. Le 17 juin, il avait réussi à
triompher d'un avion près de Béthincourt et
reçu une sérieuse blessure à la tête. Malgré
cela, il avait demandé à ne pas interrompre
son service. Mal lui en prit, six jours plus
tard il succombait.
L'adjudant
Kiffen-Yates Rockwell fut tué le 23
septembre 1916, trois mois jour pour jour
après son camarade. Comme Chapman, c'était
un véritable gentleman, élève de
l'Université de Virginie où il suivait les
cours de l'école militaire. Plutôt que de
devenir officier américain, il préféra venir
s'engager, comme simple soldat, là où on se
battait. En août 1914, il arrivait avec son
frère Paul, et partait dans l'infanterie.
Il était blessé grièvement, le 9 mai 1915,
dans une attaque à la baïonnette près
d'Arras. C'est alors qu'il passait dans
l'aviation. Le 18 mai 1916, le caporal
Rockwell abattait un avion qui prenait feu,
près de l'Hartmanswillerkopf. Le 24 mai, au
cours d'un combat rangé, vers Etain, avec un
groupe d'avions ennemis, Rockwell, devenu
sergent, et le lieutenant Thaw étaient
blessés. Celui-là était gravement atteint à
la face.
Le 28 juillet, il forçait un avion à
atterrir précipitamment dans la région de
Verdun. Le 9 septembre, l'adjudant Rockwell
attaquait, sur la rive gauche de la Meuse,
un avion qui tombait sur les premières
lignes allemandes, près de Vauquois. Le 23
enfin, il était tué et tombait près de
Rodern, en terre d'Alsace reconquise, non
loin de l'endroit où il avait abattu son
premier avion.
L'adjudant Norman Prince, qui avait eu
l'idée initiale de créer l'escadrille
américaine, suivait ses camarades dans la
tombe en rentrant de notre grande expédition
sur les usines Mauser, à Oberndorf, le 12
octobre dernier.
Blessé au cours d'un combat où il avait
réussi à abattre son adversaire, il put
regagner nos lignes, mais son appareil était
gravement endommagé et s'écrasa à
l'atterrissage. Prince se brisa les jambes
et expira le lendemain après avoir reçu sur
son lit de mort la Légion d'Honneur qui
s'ajouta à sa Médaille Militaire et à ses
cinq palmes. Prince avait vingt-neuf ans. Il
avait commencé la guerre comme bombardier et
accompli les plus importants exploits. Obus,
avions, brume, vent, rien ne l'arrêtait. Il
passa ensuite sur un avion-canon avec lequel
il abattit un Fokker et un drachen. Puis
vint la chasse avec l'escadrille américaine:
son rêve était réalisé. Le 9 août 1916, il
descendait un L. V. G.; le 25 août il
renouvelait son succès. Il fut atteint le 12
octobre, mais en emmenant son vainqueur dans
l'au-delà. Il avait frôlé le communiqué: ce
joui-là, son ami Lufbery y voyait révéler
son nom. L'escadrille américaine saura
venger ses victimes.
Le jour de la mort de Norman Prince son
frère Frederick demandait à occuper la place
vacante pour remplacer, son aîné.
Un autre membre du groupe souffre depuis de
longs mois dans un hôpital de Paris. Le 19
mai 1916, le sergent Balsley, opérant une
croisière avec plusieurs de ses camarades,
rencontrait une importante force ennemie.
Les deux escadrilles livraient le combat et
c'était alors un mélange d'appareils parmi
lesquels il était impossible de distinguer
les belligérants. Les Allemands étaient
beaucoup plus nombreux.
Soudain Norman
Prince et Balsley abandonnaient la lutte et
tombaient. Prince parvenait à rétablir sa
machine au cours de ce plongeon de la mort
et rentrait sans encombre. Balsley n'était
pas aussi heureux.
Une balle explosive l'avait atteint et il
avait perdu connaissance. Il reprit ses sens
pendant la chute et put rentrer en France,
mais l'appareil s'écrasa et le pilote fut
relevé avec une fracture du fémur. Il
expliqua que sa mitrailleuse s'était enrayée
et, avant d'être transporté à l'hôpital,
prononça ces paroles admirables dans la
bouche d'un étranger:
- Je suis content, j'ai pu ramener mon
appareil en France. Ils ne l'ont pas eu!
Mais à sa joie se mêlaient des regrets: «Si
mon arme avait marché, je tenais mon Boche à
bout portant, il ne pouvait m'échapper!»
Quant à se plaindre, a aucun moment il n'y
songea. La Médaille Militaire récompensa ce
héros dont la vie fut très longtemps en
danger et qui restera estropié.
Tels sont ceux qui sacrifient leur existence
pour nous!
Avant de passer
en revue les prouesses individuelles des
autres gloires de l'escadrille américaine,
nous parlerons de plusieurs batailles
auxquelles celle-ci a participé.
Le 24 mai 1916, le groupe prenait son vol
vers 8 heures, sous les ordres du capitaine
T. Arrivé au-dessus des lignes allemandes, à
15 ou 20 kilomètres de nos tranchées, il se
tenait à 4.000 mètres, scrutant l'horizon.
Soudain, une bande de Fokkers et d'Aviatiks
apparaissaient du côté d'Etain. Vite les
Américains fonçaient vers leur proie en
formation de combat.
Les Allemands encerclés accueillaient les
arrivants par un feu nourri. En nombre
supérieur, ils consentaient à accepter la
rencontre. Pendant quelques instants c'était
un torrent de feu qu'échangeaient les
belligérants. Chacun des nôtres avait choisi
ses adversaires. Ce n'était plus une
bataille, mais une série de duels. Bientôt
deux des avions allemands piquaient,
tournoyaient, s'effondraient. Un autre les
suivait. Le reste de la troupe préférait ne
pas insister et se retirait en désordre.
L'escadrille américaine avait fait place
nette sans perdre un seul appareil; seuls le
lieutenant Thaw et le sergent Rockwell
avaient été blessés.
Une autre fois, les Franco-Américains sont
entourés par une quarantaine d'ennemis. Au
cours de la rencontre, le lieutenant Thaw
plonge sur un Fokker et l'abat. Puis il va
dégager Bert Hall, attaqué par trois avions.
Rockwell triomphe, pendant ce temps, de son
second Boche. Aucune perte de notre côté!
Encore une bataille: un groupe allemand est
signalé se dirigeant sur Bar-le-Duc qu'il va
bombarder. Vite l'escadrille américaine
s'élève. Elle aperçoit les adversaires au
moment où ils commencent à laisser tomber
leurs bombes sur les hangars. Les Boches
sont le double de nous. Le capitaine T. et
Prince sont forcés de descendre l'un avec
son réservoir d'essence troué, l'autre avec
son moteur atteint. Puis c'est au tour de
Cowdin d'atterrir: sa mitrailleuse est
enrayée. Hall et Chapman restent en présence
du lot ennemi. A ce moment survient une
escadrille qui prête main-forte aux deux
amis. Les bombardiers s'enfuient comme une
volée de moineaux, mais ne rentrent pas au
complet. Aucune perte pour nous.
Et nous
arrivons enfin à la grande bataille du 12
octobre où l'escadrille américaine escorta
pendant une partie du parcours, à l'aller et
au retour, le groupe de 40 avions
franco-anglais qui alla bombarder les usines
Mauser; ce jour-là Lufbery, Prince (tué au
retour), Masson triomphèrent chacun d'un
ennemi.
L'as de l'escadrille
américaine est l'adjudant Lufbery. Au
moment de la guerre, il était depuis
deux ans mécanicien du glorieux Marc
Pourpe dont il avait fait la
connaissance à Saigon. Il continuait
ses précieux offices auprès de son
patron et ami, devenu simple soldat.
Tous deux s'étaient engagés en
même temps. En décembre, Pourpe se
tuait. Vite, Lufbery demandait à
le remplacer et devenait pilote.
D'abord bombardier, il passait ensuite
sur Nieuport. Le 31 juillet, il
atteignait un groupe de quatre
appareils ennemis. Il en abattait un à
l'ouest d'Etain. Le 4 août, avec
l'adjudant Sayaret, il triomphait d'un
Allemand qui tombait près d'Aboucourt.
Nouveau succès le 8 août: son
adversaire s'écroulait en flammes près
de Douaumont. Quatrième victoire en
septembre et citation au communiqué à
la suite d'une cinquième bataille au
cours du bombardement des usines
Mauser d'Oberndorf. Le 9 novembre un
appareil était sérieusement touché par
le brillant champion dans la Somme. De
même, le lendemain un avion tombait
désemparé près d'Ablaincourt. Le 4
décembre, un autre était sans doute
abattu près de Chaulnes. Le 27
décembre, à 9 heures du matin,
l'Américain descendait probablement un
Fokker près de Chaulnes encore, et à 3
heures triomphait de son sixième
officiel qui tombait au nord de
Restain.
Lufbery
l'échappa belle dans la rencontre qui
précéda la révélation de son nom au
communiqué. Il avait affaire à un Boche
de grande valeur et, après une lutte
acharnée, rentrait avec une balle dans
un chausson, une dans sa combinaison,
trois dans le moteur, le réservoir
crevé, le stabilisateur brisé, un
montant du fuselage fendu. L'Américain
avait juste la possibilité d'atterrir
sur le premier terrain qu'il apercevait
après le passage des tranchées. Cinq
jours plus tard, il prenait sa revanche.

Le lieutenant Thaw,
dès le mois de mai 1915, obtenait
sa première citation comme
caporal: «A toujours fait preuve
des plus belles qualités de
bravoure et de sang-froid. A deux
reprises, au cours de voyages
d'observation, a eu son avion
violemment canonné et atteint par
des éclats d'obus, causant de gros
dommages. A néanmoins continué à
observer les positions ennemies et
n'est rentré qu'après
l'accomplissement intégral de sa
mission».
Il
montait alors un Caudron, puis
passait sur Nieuport. Devenu
lieutenant, il recevait la Légion
d'Honneur avec le motif suivant:
«Pilote remarquable par son adresse,
son entrain et son mépris du danger.
A livré récemment 18 combats aériens
à courte distance. Le 24 mai, au
matin, a attaqué et abattu un avion
ennemi. Le soir même, a de nouveau
attaqué un groupe de trois appareils
allemands et les a poursuivis de
4.000 à 1.000 mètres d'altitude.
Grièvement blessé au cours du combat
a réussi, grâce à son énergie et son
audace, à ramener dans nos lignes
son avion gravement atteint et à
atterrir normalement. Déjà deux fois
cité à l'ordre».

L'adjudant Hall
commença sa carrière militaire
dans la légion étrangère. Il
quitta l'infanterie pour
l'aviation, où il remplit, sur
sa demande, des missions
particulièrement dangereuse en
arrière des lignes ennemies.
Le 22 mai 1916, il attaquait
un avion allemand, le
poursuivait de 4.200 à 1.000
mètres d'altitude et
réussissait a l'abattre à
quelques centaines de mètres
de nos tranchées. Le 23
juillet, il triomphait d'un
autre appareil près du fort de
Vaux. Le lendemain, il
rentrait d'un combat avec huit
balles dans les parties
essentielles de son biplan. Le
6 novembre, il touchait
sérieusement un avion vers
Buire et le 9, abattait un L.
V. G. vers Sailly-Saillisel.
Le
8 janvier 1917, le sergent
Johnson abattait un avion entre
Brie et Villers-Carbonnel.
Le sergent Elliot Cowdin était
cité à l'ordre de l'armée, pour
la première fois, en juin 1915:
«Le 26 juin 1915,
rencontrant simultanément deux
avions allemands, les a attaqués
et les força successivement à
descendre. A eu son avion et son
moteur gravement endommagés par
le tir des avions allemands et a
reçu plusieurs éclats dans son
casque». Le 4 avril, il
apercevait un groupe de douze L.
V. G. se dirigeant sur Verdun.
Seul, en patrouille, il
n'hésitait pas un instant, se
précipitait au milieu de la
horde teutonne et parvenait à
rentrer indemne après avoir
abattu un des appareils. Cet
exploit lui valait la Médaille
Militaire.
Citons en outre le lieutenant
français de L. de M., vainqueur
d'un avion ennemi, le 27 juillet
1916; l'adjudant Didier
Masson qui triompha d'un
appareil ennemi le jour du
bombardement des usines
Mauser; le sergent
Pavelka, ex-légionnaire blessé à
la jambe d'un coup de baïonnette
au cours d'une charge en
Champagne, -récemment breveté-
qui, le 9 novembre 1916,
endommageait sérieusement un
avion ennemi; le sergent Rumsey,
un des plus célèbres joueurs de
polo des Etats-Unis; les
sergents Hill, fils d'un grand
manufacturier américain;
Johnson, Mac Connell, les
caporaux Soubiran, Havilan, etc.
Et à ce bouquet de héros viendra
s'ajouter sous peu toute une
pléiade de nouveaux engagés
volontaires qui achèvent leur
entraînement dans nos diverses
écoles.
Telle aura été, pendant la
guerre, une des marques de
sympathie de l'Amérique pour la
France, sympathie scellée par de
la vaillance, par du sang.
JACQUES MORTANE.
Prince
venait d'abattre un avion
Au cours de plusieurs
combats qu'il avait livrés
pendant le bombardement
des usines Mauser, à
Oberndorf, il avait eu son
appareil gravement
attteint. Il atterrit au
moment où la nuit tombait,
capota, se fracassa les
jambes et mourut le
lendemain.
|
Le
sous-lieutenant Nungesser,
notre autre grand as,
qu'on voit sur notre
cliché, est allé rendre
visite à ses camarades de
l'escadrille La Fayette
composée de volontaires
américains. Ce document
sur lequel on reconnaît à
gauche l'adjudant Norman
Prince, a été pris
quelques jours avant la
mort glorieuse de ce
dernier, qui se tua au
retour du bombardement des
usines Mauser, le 12
octobre 1916. Il venait d
abattre sa quatrième
victime
.
|

MAC. CONNELL Le sergent
Mac Connell est un
excellent pilote, l'un des
plus jeunes de l'unité. |

SOUBIRAN Le caporal
Soubiran est l'un des plus
récents pilotes de
l'escadrille où il semble
devoir continuer la
tradition. |
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DIDIER MASSON Français
naturalisé Américain qui
s'est engagé dans
l'aviation française (1
avion abattu)
Didier
Masson,
capitaine aviateur au
Mexique, adjudant à
l'Escadrille La
Fayette.
|
|
De
gauche à droite: le lieutenant de L. de
M., seul aviateur français de l'escadrille
avec le chef, le capitaine T., les
sergents Johnson Rumsey, Mac Connell le
lieutenant William Thaw, l'adjudant
Lufbery, le sergent Kiffen Rokwell (tué),
les adjudants Didier Masson, Norman Prince
(tué), Hall.

L'adjudant Lufbery, l'as américain
qui a six avions à son actif.

Le sergent Rumsey, l'un des meilleurs
joueurs de polo, devenu chasseur.

L'adjudant Hall, ancien légionnaire,
a abattu 3 avions.

Le sergent Hill, millionnaire américain,
combat aussi pour la France.

Le sergent Pavelka, ex-légionnaire,
qui vient d'abattre un avion ennemi.

Le lieutenant de L. de M., français,
vainqueur d'un avion allemand.

Le sergent Kiffin Rockwell, tué en
Alsace, avait abattu trois appareils.

Le sergent Balsley blessé très grièvement
au cours d'un combat aérien.
L'as qui a son nom au communiqué était
le mécanicien du regretté Marc Pourpe.

VICTOR CHAPMAN
Tué, le 23 juin 1916. Blessé à la tête
quelques jours avant, il avait refuse
d'être évacué.

KIFFIN ROCKWELL
l'adjudan Kiffin
Rockwell trouva la mort au cours
d'un combat. Il allait passer sous
lieutenant. Il avait la Médaille
Mïlitaire et trois palmes.

DENNIS DOWD
Légionnaire, après avoir été un
héros sur terre, il voulut l'être
dans les airs, mais se tua en
s'entraînant.

CAPITAINE TH. Chef de
l'escadrille, le seul pilote
français de l'unité avec le
lieutenant de L. de M.
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L'ESCADRILLE LA FAYETTE Par PAUL-AYRES ROCKWELL

I. -- DÉBUTS - SUCCÈS - DEUILS
Vers 9 heures du soir le lundi
17 avril 1916, quatre jeunes gens
joyeux, enthousiastes, pleins d'entrain
sous l'uniforme de l'aviation française
et un civil d'aspect morose descendaient
d'un taxi devant la gare de l'Est et
entraient dans le couloir qui mène au
quai du départ. Les aviateurs étaient
Victor Chapman, mon frère Kiffin
Rockwell, Norman Prince et James Me
Connell. Ils étaient heureux et
satisfaits parce qu'ils allaient
réaliser leur désir le plus cher et se mettaient
en route pour le front comme quatre
premiers pilotes de l'escadrille
américaine nouvellement constituée. Le
civil, c'était moi, et j'étais triste
parce que je ne partais pas avec mes
quatre compagnons et que je redoutais
l'avenir.
Ces quatre jeunes gens en costume d'aviateur
savaient par expérience personnelle ce
qu'était le front. Victor et Kiffin avaient
passé de longs mois durs, pénibles et
tristes dans les tranchées comme soldats de
l'immortelle Légion étrangère; Victor avait
quitté cette formation en juillet 1915 pour
devenir pilote et Kiffin était passé dans
l'aviation en septembre 1915, à sa sortie de
convalescence après avoir été blessé d'une
balle au cours de l'assaut de La Targette
par la Légion, le 9 mai.
Norman avait volé pendant
des mois au front, comme pilote, sur avions
de reconnaissance et de bombardement. Jim
était un ancien conducteur d'ambulance et
s'était souvent trouvé sous le feu à
Pont-à-Mousson où pendant des mois il
transportait les blessés du secteur du bois
Leprêtre. Aucun d'eux, toutefois, n'avait
idée de ce qu'était l'existence du pilote de
chasse, mais chacun était plein d'espoir,
courageux par avance et fermement résolu à
faire son devoir dans les airs du mieux
possible et noblement.
Il est opportun de donner ici quelques
explications sur les débuts de l'escadrille
américaine. Le premier aviateur américain
confirmé qui offrit ses services à la France
fut William Thaw qui volait en Amérique
longtemps avant la guerre. Il voulut
s'engager dans l'aviation française en août
1914, mais ne fut pas accepté comme pilote
et s'enrôla dans la Légion en attendant
qu'on fît appel à lui dans son arme
préférée. En décembre 1914 Thaw et deux de
ses camarades américains de la Légion, James
Bach et Bert Hall, furent rappelés des
tranchées et envoyés dans une école
d'aviation à l'entraînement.
Le véritable fondateur de l'escadrille
américaine, cependant, fut Norman Prince. Ce
fut lui qui le premier eut l'idée de former
un corps spécial, dans les rangs français,
composé de pilotes américains volontaires,
et il vint en France en janvier 1915 pour
tenter de réaliser son projet. Au ministère
de la guerre, à Paris, il ne trouva guère
d'encouragements, si bien qu'il s'engagea le
20 février comme élève pilote et après
quelques mois d'entraînement à l'école de
Pau partit au front dans une escadrille
française. Thaw et Bert Hall à la même
époque servaient également comme pilotes sur
le front mais dispersés dans diverses
escadrilles si bien qu'il n'existait pas
encore de formation américaine régulière.
Trois Américains
d'origine française, Raoul Lufbery, Didier
Masson et H. G. Gerin, se trouvaient
également comme pilotes dans les escadrilles
françaises au cours de l'été 1915 et
d'autres Américains étaient successivement
autorisés à faire leur apprentissage dans
les écoles. Aussi Norman s'acharna-t-il à la
réalisation de son premier projet d'une
escadrille uniquement américaine et
finalement, au début de 1916, les «toutes
puissantes autorités» commencèrent à prêter
attentivement l'oreille à ses demandes et à
celles de ses camarades: en avril
l'escadrille américaine était
autorisée. Un dîner intime eut lieu
dans un restaurant de Paris le 17 avril au
soir pour fêter l'organisation de
l'escadrille. Etaient présents Victor
Chapman, Kiffin Rockwell, Norman Prince,
James Me Connell, William Thaw, Clyde
Balsley, Chouteau Johnson et Lawrence
Rumsey, tous pilotes brevetés, Michel Pla
Plate, qui avait été le mécanicien fidèle de
Norman au front, et moi. Ce fut à la suite
de ce dîner que les cinq d'entre nous nommés
au début de ce récit se rendirent à la gare
de l'Est.
Les quatre
aviateurs prirent le train pour la Champagne.
Aussitôt leur arrivée on les envoya à Luxeuil
où l'escadrille devait se former. Le capitaine
Thenault et le lieutenant de Laage de Meux,
les officiers français qui avaient été choisis
pour commander les Américains, les
attendaient. Quelques jours après Thaw et Bert
Hall les rejoignirent.
Les quatre semaines qui suivirent furent
tranquilles, les avions étaient lents à venir
et les pilotes commençaient à s'impatienter.
Puis les aéroplanes arrivèrent et le 17 mai au
matin l'escadrille américaine fit son premier
vol sur les lignes comme unité combattante.
Quittant leur champ d'aviation à la pointe du
jour les aviateurs américains patrouillèrent
sur les lignes allemandes pendant deux heures.
Aucun avion ennemi ne se montra, mais les
Américains furent constamment salués par une
abondante canonnade des batteries
anti-aériennes allemandes. Chapman et Thaw
eurent leurs appareils atteints, mais sans
dommage réel. Me Connell, qui volait à 3.000
mètres, constata que les obus allemands
éclataient tout autour de lui à cette hauteur,
et déplorablement près.
Le lendemain Kiffin abattit le premier
aéroplane allemand au compte de l'escadrille,
qui était aussi le premier qu'il eut jamais
rencontré dans les airs. Il m'écrivait au
sujet de sa victoire la lettre suivante:
Jeudi, 18 Mai 1916.
MON CHER PAUL,
Enfin j'ai
quelque chose à te raconter. Ce matin
j'étais allé faire un petit tour sur les
lignes. J'étais quelque peu de l'autre
côté quand mon moteur commença à
avoir des ratés. Je fis demi-tour pour
gagner un champ d'aviation voisin des
lignes de nos tranchées. Juste
comme j'allais m'y diriger je vis un
appareil boche à 700 mètres environ
au-dessous de moi, un peu à l'intérieur de
nos lignes. Immédiatement je réduisis mon
moteur et plongeai sur lui. Il me vit au
même moment et commença à piquer vers ses
lignes. C'était un avion biplace muni de
deux mitrailleuses à tir rapide, l'une à
l'avant, l'autre à l'arrière qui, tournant
sur un pivot, pouvait tirer dans toutes
les directions. Le mitrailleur
ouvrit immédiatement le feu sur moi et mon
appareil fut atteint, mais je n'y prêtai
aucune attention et continuai à foncer
droit sur lui jusqu'à me trouver à 25 ou
30 mètres. Alors, au moment où je
redoutais d'entrer en collision avec lui
je tirai quatre ou cinq coups et fis un
à-droite pour ne pas le heurter. Au
même moment je vis le mitrailleur
s'abattre à la renverse, tué, sur le
pilote, sa mitrailleuse, abandonnée à
elle-même, pointer à la verticale et le
pilote s'affaler contre le bord de sa
carlingue, comme s'il était, lui aussi,
anéanti. L'avion s'embarqua d'abord sur
une aile, puis piqua à fond jusqu'au sol,
avec un sillage de fumée derrière
lui. Je tournai au-dessus et trois ou
quatre minutes plus tard je vis un
incendie s'élever du sol tout près des
tranchées allemandes. J'avais eu l'espoir
qu'il tomberait chez nous, car il est
difficile d'authentifier la chute dans les
lignes allemandes. Notre poste
d'observation signala le naufrage de
l'appareil et la fumée. Le capitaine m'a
dit qu'il me proposerait pour la Médaille
Militaire, mais j'ignore si je l'aurai ou
non.
Hier, Thaw a eu un
beau combat à la fin duquel le Boche a
piqué jusqu'au sol. Il a été signalé comme
abandonnant le combat sérieusement
atteint, mais comme capable de rentrer
dans ses lignes.
J'ai fort à faire
actuellement car l'ordre vient de nous
arriver de nous rendre à Verdun. Jim
t'avait télégraphié le résultat de mon
combat.
Tout à toi.
Kiffin.
Le lendemain de
ce succès aérien de Kiffin l'escadrille
partait pour Verdun. L'équipe était heureuse
d'y aller. Verdun était le cratère de la
guerre et c'était l'ambition de tout pilote
de l'armée française de s'y rendre. L'avion
de Jim Me Connell était brisé et au grand
désespoir de Jim il fut contraint de rester
quelques jours à Luxeuil après le départ de
ses camarades en attendant que l'appareil
fût réparé.
La première
grande bataille aérienne de l'escadrille eut
lieu le 24 mai. L'activité de cette journée
commença avant l'aube. Alors que Kiffin et
Thaw volaient loin à l'intérieur des lignes
allemandes ils aperçurent au-dessus d'Etain
un Fokker et un Aviatik. Thaw fonça sur le
Fokker et l'abattit en flammes pendant que
Kiffin livrait combat à 'Aviatik. Après
avoir tiré quelques projectiles le Boche
prit la fuite tandis que les deux Américains
rentraient rendre compte de la victoire de
Thaw. Faisant hâtivement le plein de leurs
réservoirs ils rejoignirent les autres
pilotes de l'escadrille en reconnaissance
au-dessus du champ de bataille de Verdun.
Des vingtaines
d'aéroplanes allemands et français étaient
en l'air et les combats qui s'ensuivirent
furent innombrables. Les pilotes américains
eurent chacun plusieurs rencontres et deux
appareils allemands en plus du Fokker de
Thaw furent comptés officiellement comme
victimes de l'escadrille dans cette journée.
Thaw entra en mêlée avec plusieurs Boches et
une balle l'atteignit au bras, brisant un
petit os près du coude. Il réussit
péniblement à atterrir juste derrière les
tranchées françaises et fut ramassé en
piteux état par quelques poilus. Il fut
expédié en hâte a Paris où il resta en
traitement pendant plusieurs semaines. Au
cours d'un combat contre trois Aviatiks,
Victor eut le bras profondément labouré par
une balle, mais il n'abandonna pas pour cela
la bataille et réussit à mettre |en fuite
ses adversaires, en en abattant un et
probablement un autre; Kiffins'attaquait à
un groupe d'avions allemands. Il en
descendit un, puis une balle explosible
atteignit son pare-brise et les fragments du
projectile teuton interdit lui firent de
vilaines entailles tout autour de la bouche
et du nez. Il put néanmoins atterrir
normalement et se fit panser à un poste de
la Croix-Rouge. J'ai conservé un méchant
fragment de la balle allemande qu'on lui
retira du nez. Le capitaine Thenault voulait
le faire entrer à l'hôpital pour y être
soigné, mais il refusa. Prenant un congé de
vingt-quatre heures il vint à Paris
m'assurer qu'il n'était pas sérieusement
blessé puis repartit en hâte reprendre
l'air. Aucune insistance ne put l'amener à
prendre quelques jours de repos. Je n'ai
jamais vu chez personne une aussi brûlante
anxiété impatiente de retourner dans la
fournaise et de livrer bataille aux
Allemands.
J'ai devant moi les trois citations gagnées par les gars au cours de cette mémorable journée.
Elles disent :
Chapman (Victor),
caporal pilote à l'escadrille 124 :
citoyen américain, engagé pour la durée de
la guerre. Pilote remarquable par son
audace, s'élançant sur les avions ennemis
quelqu'en soit le nombre, et quelle que
soit l'altitude. Le 24 mai, a attaqué seul
trois avions allemands; a livré un combat
au cours duquel il a eu ses vêtements
traversés de plusieurs balles et a été
blessé au bras.
La citation pour laquelle Kiffin avait été proposé le 18 mai et celle du 24 mai furent réunies dans le journal Officiel ainsi:
La Médaille Militaire a été conférée au militaire dont le nom suit:
Rockwell
(Kiffin- Yates), mle 34805, caporal à
l'escadrille 124. Engagé pour la durée
de la guerre a été blessé, une
première fois, le 9 mai 1915, au cours
d'une charge à la baïonnette. Passé dans
l'aviation, s'est montré pilote adroit
et courageux. Le 18 mai 1916 a attaqué
et descendu un avion allemand ; le 24
mai 1916 n'a pas hésité à livrer à
plusieurs appareils ennemis un combat au
cours duquel il a été atteint d'une
grave blessure à la face. La présente
nomination comporte l'attribution de la
Croix de Guerre avec palme.
Signé : JOFFRE.
William Thaw fut fait chevalier de la Légion d'Honneur avec le motif suivant:
Thaw (William), mle
5503 ; lieutenant à l'escadrille 124:
engagé volontaire pour la durée de la
guerre. Pilote remarquable par son
adresse, son entrain et son mépris
du danger. A livré récemment dix-huit
combats aériens à courte distance. Le 24
mai au matin, a attaqué et abattu un
avion ennemi. Le soir même, a de nouveau
attaqué un groupe de trois appareils
allemands et les a poursuivis de 4.000 à
2,000 mètres d'altitude. Grièvement
blessé au cours du combat a réussi,
grâce à son énergie et son audace, à
ramener dans nos lignes son avion
gravement atteint et à atterrir
normalement. (Déjà deux fois cité à
l'ordre).
Tandis que les fantassins
français et allemands avançaient et
reculaient par alternatives se disputant
le terrain avec furie pied à pied, les
aviateurs continuaient leur tâche
au-dessus d'eux.
Les meilleures
escadrilles allemandes de combat volaient
chaque jour sur le secteur de Verdun, mais
les pilotes français faisaient mieux que jeu
égal avec elles. S'inspirant de l'audace
héroïque et de l'esprit de sacrifice de
leurs camarades français, les Américains
mirent toute leur énergie à bien faire leur
part de la tâche commune, expulsant chaque
jour les appareils ennemis de la région des
nuages et gênant considérablement les
teutons dans leurs observations et leur
réglage du tir d'artillerie. On peut se
faire une idée de leur fougue au combat par
cette lettre de Kiffin, écrite le 16
juillet, premier anniversaire de la mort de
Kenneth Weeks, Russell Kelly, Earle Fike et
d'autres de ses meilleurs amis de la Légion,
tombés le 16 juin 1916 au cours de la
glorieuse attaque de Givenchy.
Samedi.
MON CHER PAUL,
Les deux derniers
jours ont vu une série d'engagements
aériens où aucun de nous n'a été très
heureux. J'ai été moi-même hier par deux
fois pris par surprise alors que j'étais
également aux aguets et très attentif à ce
que je faisais. La seule raison pour
laquelle je n'ai pas été descendu est que
les Boches tiraient mal. Constamment j'ai
attaqué des avions, mais ils étaient
toujours trop nombreux. Chapman a été un
peu trop courageux et m'a entraîné dans un
combat plus que hasardeux, car je n'est pu
me résoudre à le laisser aller seul.
Il attaquait
sans cesse sans faire grande attention
autour de lui. Il a fait de même ce matin
et ne voulait pas rentrer quand tous nous
rentrions. Résultat: il attaquait un
Boche, quand un Fokker qu'il croit être
Boelke (les journaux ont annoncé sa mort,
mais nous n'y croyons pas) survint en
plein derrière Chapman. Il fit de son
appareil une écumoire et blessa Victor à
la tête. C'est à peine une égratignure,
mais c'est un miracle qu'il n'ait pas été
tué.
Une partie des commandes de l'avion de Chapman étaient sectionnées, mais il put atterrir en les tenant réunies dans sa main. Les
Allemands sont venus hier et aujourd'hui
au-dessus du champ et nous ont bombardés.
Hier je ne les ai pas vus. Aujourd'hui
j'ai pris le départ contre eux mais mon
moteur ne donnait pas au départ, l'une des
bougies était brisée, et je ne pus prendre
de hauteur. Il y avait à l'escadrille
quatre avions qui ne firent rien, car ils
avaient trop travaillé auparavant. Les
autres ont eu des combats avec les
Allemands, mais n'en ont pas descendu,
aussi l'escadrille n'est-elle pas en très
haute estime et les articles qui
parleraient de nous avec éloges ne
seraient pas opportuns.
Navarre a été
blessé aujourd'hui. J'ai vu aussi un
pilote et son passager grillés avec leur
appareil, mais c'était la faute du pilote.
J'avais pensé
par avance essayer hier et aujourd'hui de
réaliser mon voeu de descendre un ou deux
Boches à la mémoire des camarades tués à
cette date il y a un an, mais, comme je te
l'ai dit, je n'ai pas eu de chance. Je
suis éreinté maintenant. Je suis sorti
quatre fois aujourd'hui et tout le temps à
monter et à redescendre. Une fois j'ai
piqué à fond sur un Boche de 4.050 à 1.800
mètres, mais il s'est enfui. Cela fatigue
quelque peu les changements d'altitude et
le pilotage.
Bien affectueusement.
KIFFIN.
Le 17 juin
Clyde Balsley, qui n'était pas depuis
longtemps à l'escadrille, a été estropié
pour toute sa vie au cours d'un combat
héroïque contre un nombre accablant d'avions
ennemis. Kiffin m'a décrit le combat.
Lundi.
MON CHER PAUL,
La journée d'hier a
été plutôt néfaste pour nous: tu sais que
nous jugions Balsley plutôt jeune et
inexpérimenté, mais depuis qu'il est
arrivé à l'escadrille j'avais pour lui de
plus en plus d'affection à voir qu'il
était rempli de bonne volonté à l'ouvrage
et qu'il n'avait pas peur.
Voici. Hier nous
étions tous partis faire un barrage
offensif au-dessus des lignes. Nous étions
tous censés suivre le capitaine, mais en
réalité seuls Prince, Balsley et moi
étions derrière lui. Nous étions tous
quatre au-dessus des lignes quand nous
nous trouvâmes au milieu d'une quarantaine
de Boches réunis dans un étroit secteur et
qui volaient à diverses hauteurs. A
l'altitude où nous étions il y avait douze
ou quinze petits Aviatiks de chasse qui
allaient exactement aussi vite que nous
et, par surcroît portaient un passager. Le
pilote tire comme nous le faisons, l'homme
qui se trouve derrière lui est armé d'une
seconde mitrailleuse qui peut protéger
l'arrière et les côtés.
Nous n'étions que
quatre et sur les lignes allemandes, mais
nous restions étroitement groupés et
pendant dix ou quinze minutes nous
évoluâmes autour des Boches qui tiraient
presque constamment, sur nous de quatre ou
cinq cents mètres de distance. Finalement
nous vîmes une aubaine. L'un de leurs
appareils traversa entre nous et les
lignes, tandis que tous les autres se
trouvaient derrière nous.
Nous plongeâmes
immédiatement sur ce Boche isolé. Il en
résulta une mêlée générale, car les Boches
accoururent sur nous de tous côtés et de
l'arrière.Je vis quelqu'un, était-ce
Prince ou Balsley, qui tombait comme
frappé à mort. Je pensai en moi-même qu'il
venait d'être tué. Puis je perdis de vue
notre autre avion. Nous restions seuls, le
capitaine et moi. Il me le signala, et
alors nous partîmes et finalement
rentrâmes au champ convaincus que les deux
autres avaient été descendus. Prince
rentra peu après.
Il avait dû piquer comme un sourd, un Boche ayant pris le dessus sur lui et lui ayant traversé son casque d'une balle.
Notre pauvre Balsley
paraît avoir foncé sur un Boche et,
parvenu tout près, lorsqu'il se mit à
faire parler sa mitrailleuse, elle enraya
après la première balle.Il virait pour
s'éloigner quand un projectile l'atteignit
à la hanche et fit explosion en arrivant
sur l'os. Basley tomba à pic, mais
heureusement il avait les pieds retenus
aux commandes par une courroie et put
redresser son appareil et atterrir avec un
pied. Il toucha terre chez nous, tout près
des tranchées. Il eut une vraie chance de
damné. Son avion fut complètement détruit
à l'atterrissage.
A l'heure actuelle on
ne peut se prononcer sur sa blessure. Il
peut se faire qu'elle n'ait que peu de
suites, mais plusieurs pilotes sont morts
de blessures semblables après
empoisonnement du sang. On ignore encore
si des fragments de la balle ont pénétré
dans le ventre. Il a été proposé pour la
Médaille Militaire pour sa bravoure.
Chapman va bien. Il
n'a qu'une écorchure. Il recommencera
demain à voler. On vient de lui livrer un
avion neuf plus rapide. Je crois qu'il
aura, lui aussi la Médaille Militaire.
Officieusement Thaw a
la Croix et moi la Médaille Militaire,
mais la note officielle n'est pas encore
arrivée. Thaw est venu nous voir et repart
pour Paris aujourd'hui ou demain.
Affectueusement.
KIFFIN.
Six jours plus tard la mort, toujours à l'affût des aviateurs, appesantit pour la première fois sa main semeuse de deuils sur l'escadrille américaine et choisit comme victime, le vaillant, l'admirable, l'inoubliable Victor Chapman. Voici le récit que me fit mon frère de la mort de Chapman :
Vendredi.
MON CHER PAUL,
Je broie du noir
cette nuit. Victor a été tué cet
après-midi. J'étais de garde au champ
aujourd'hui, aussi n'ai-je pas pu aller
sur les lignes. Le capitaine, Victor,
Prince et Lufbery sortirent l'après-midi.
A l'intérieur des lignes allemandes ils
s'attaquèrent à cinq avions boches. Le
capitaine, Prince et Lufbery s'en tirèrent
indemnes et rentrèrent au champ, mais
Victor n'était pas avec eux.
Nous commencions à
être inquiets lorsqu'un pilote de Maurice
Farman nous téléphona qu'il était près et
avait vu le combat. Il vit, dit-il, l'un
des Nieuport piquer soudain à fond vers le
sol, puis l'appareil se brisa en l'air.
J'imagine que Victor avait probablement
été atteint par une balle et que ses
commandes avaient été sectionnées par les
projectiles. lorsqu'il fut blessé il tomba
vraisemblablement en avant sur son «manche
à balai» ce qui mit l'avion en descente.
Alors, si les haubans étaient endommagés
par le tir ennemi, la catastrophe était
inévitable.
Il tomba à
l'intérieur des lignes allemandes. Nous
nous occupons d'apprendre la nouvelle à
ses parents en Amérique. Je voudrais que
tous les journaux du monde rendent hommage
à Victor. Il n'y a aucun doute qu'il avait
à lui seul plus de cran que nous tous
réunis. Nous avions tous peur qu'il ne se
tue et moi qui faisais chambre commune
avec lui je le priais chaque jour d'être
plus prudent. Il prétendait livrer combat
à tout Boche à sa portée sans se soucier
de l'endroit ou des risques et je suis sûr
qu'il en a blessé sinon tué plusieurs. Je
l'ai vu deux fois dominer un avion
allemand, en l'accablant d'un feu d'enfer,
mais c'était toujours dans leurs lignes où
l'on livre tant de combats qu'il est
souvent impossible de savoir si l'on a
descendu l'appareil ennemi.
La blessure à la tête
de Victor n'était pas cicatrisée qu'il
insistait déjà pour voler en toute
occasion et se refusait à prendre aucun
repos. La première fois qu'il monta en
aéroplane il partit comme passager pour
Dillingen et lança une bombe sur la gare.
Depuis la guerre il n'avait jamais eu de
décorations, puis en un mois, ici, il
était proposé pour deux citations à
l'ordre de l'armée et pour la Médaille
Militaire.
Comme je te l'ai dit
nous habitions la même chambre, lui et
moi, et nous volions très souvent ensemble
aussi suis-je d'autant plus affecté que
j'en étais arrivé à avoir pour lui une
très grande affection. Je crains qu'il ne
pleuve demain, mais s'il ne pleut pas
Prince et moi nous volerons dix heures
s'il le faut et ferons l'impossible pour
tuer un ou deux Boches afin de venger
Victor.
Tout à toi.
KIFFIN.
Voici la
dernière citation de Victor:
Chapman (Victor).
Sergent pilote à l'escadrille 124; pilote
de chasse qui était un modèle d'audace,
d'énergie et d'entrain et faisait
l'admiration de ses camarades
d'escadrille. Sérieusement blessé à la
tête le 17 juin a demandé à ne pas
interrompre son service. Quelques jours
Plus tard s'étant lancé à l'attaque de
plusieurs avions ennemis, a trouvé une
mort glorieuse au cours de la lutte.
L'escadrille
américaine était cruellement frappée par la
perte de Victor,mais quand la guerre
continue, peu importe qui meurt et un désir
de vengeance excitait les pilotes à se
montrer de plus en plus actifs. Une
cérémonie mortuaire grandiose eut lieu à
Paris le 4 juillet en mémoire du jeune
disparu. L'histoire du sacrifice de sa vie
que Victor avait fait avec enthousiasme
contribua certainement à transformer
beaucoup d'Américains strictement neutres
auparavant en partisans fervents de la cause
des alliés. J'allai rendre visite à
l'escadrille dans son camp à l'arrière de
Verdun le 5 juillet. Pendant les quelques
jours que j'y passai j'eus l'occasion
d'avoir une connaissance plus complète de
l'existence journalière et des risques des
combattants du ciel. Je couchais dans la
chambre de mon frère, dans le petit lit de
fer que Victor avait quitté quelques jours
auparavant pour faire sa dernière sortie. Il
y avait alors à l'escadrille le capitaine
Thenault, le lieutenant de Laage, Kiffin,
Norman, Jim, Lufbery, Bert Hall, Didier
Masson, Chouteau Johnson, Dudley Hill et
Lawrence Rumsey. Avant mon départ pour
Paris, Thaw revint prendre sa place de
combat bien que sa, blessure au bras ne fut
pas encore guérie.
Chaque jour il
y avait deux sorties régulières de
l'escadrille entière, la garde du champ
exceptée, et en outre des vols facultatifs
des hommes les plus actifs. Souvent les
pilotes voulaient repartir alors que leurs
appareils portaient les traces de glorieuses
rencontres.
Un jour Kiffin revint avec une balle et des trous d'éclats d'obus dans nos avions. Une balle avait fait dans sa combinaison une grande déchirure à la poitrine, près de son brave cœur.
Le nombre de
combats que livrèrent les pilotes de
l'escadrille américaine en juillet et août
au-dessus de Verdun, je l'ignore, Kiffin,
pour sa part, eut en juillet quarante
engagements officiellement constatés et
trente-quatre en août, la plupart trop loin
en territoire allemand pour que les
résultats en fussent constatés. Le
lieutenant de Laage était son camarade
de combat habituel et ils ont dû ensemble
mettre à leur compte bon nombre d'appareils
boches.
Tout à la fin d'août Kiffin fut cité à l'ordre de l'armée en ces termes:
Rockwell (Kiffin
Yates), sergent pilote à l'escadrille 124,
engagé pour la durée de la guerre. Entre
dans l'aviation de chasse, s'y est classé
immédiatement comme pilote de tout premier
ordre, d'une audace et d'une bravoure
admirables. N'hésite jamais à attaquer
l'ennemi quel que soit le nombre des
adversaires qu'il rencontre, l'obligeant
le plus souvent, par sa maîtrise, son
mordant, à abandonner la lutte. A abattu
deux avions ennemis. A rendu les plus
grands services à l'aviation de chasse de
l'armée en se dépensant pendant quatre
mois sans compter devant Verdun.
Prince, Lufbery
et Hall eurent aussi de nombreux combats
heureux au cours de ces mois, détruisant
chacun un ou plusieurs avions allemands. Le
4 août, Lufbery et Me Connell criblèrent de
projectiles un appareil boche; sa chute fut
officiellement contrôlée et la moitié du
bénéfice de la victoire fut accordé à Jim.
Au cours du
mois d'août, Jim fut sérieusement
contusionné par suite d'un capotage
dangereux. Il était parti en reconnaissance
avec Kiffin et Norman tandis que se
disputait une bataille acharnée autour de
Fleury et Thiaumont.Ils devaient empêcher
les avions allemands de reconnaissance
d'accomplir leur mission. Les Boches se
tenaient aux aguets tout à l'intérieur de
leurs lignes et sous la protection de leurs
batteries spéciales, attendant le retour des
appareils français chez eux. Mais les
aéroplanes, avant de rentrer en France,
restèrent à leur poste jusqu'à ce que
l'obscurité commençât à tomber, et qu'il fût
trop tard pour les observations aeriennes.
Alors ils se décidèrent à rentrer au camp au
crépuscule. Kiffin et Norman y atterrirent
sans incident, mais en cours de route le
moteur de Jim se mit à bafouiller. Il mit à
la descente, cherchant à trouver un terrain
d'atterrissage favorable dans cet étrange
pays. Il volait très bas à cause de
l'obscurité et entra en contact avec des
fils télégraphiques. Son appareil capota et
s'écrasa dans un fossé profond, au bord
d'une route. Des poilus accoururent d'un
camp voisin, qui s'attendaient à ramasser un
cadavre, mais Jim paraissait indemne, à part
quelques contusions insignifiantes. Il avait
un froissement des reins dont il soufrait
très fort le lendemain, bien qu'il tînt à
voler.
Vers la fin du
mois Kiffin et lui vinrent à Paris en
permission de sept jours. Jim souffrait de
plus en plus des reins et souvent la nuit,
malade, il restait sur son séant, incapable
de dormir par suite de la douleur. Un matin
Kiffin et moi nous dûmes l'aider à
s'habiller; il ne pouvait marcher qu'à
l'aide d'une solide canne. Cependant à la
fin de ses sept jours il persista à rentrer
à l'escadrille, mais une fois arrivé il ne
pouvait plus marcher du tout et le capitaine
l'envoya enfin à l'hôpital. Kiffin fêta son
retour de permission en descendant un autre
avion boche qui tomba dans les tranchées de
première ligne près de Vauquois. Il me
mentionnait le fait en quelques lignes:
Samedi, 9 septembre.
MON CHER PAUL,
Juste quelques
lignes. Nous ne sommes pas encore partis
mais j'espère être à Paris dans deux
jours. Ce matin j'ai attaqué un Boche à
3.000 mètres et j'ai tué l'observateur de
ma première balle. Ma mitrailleuse s'est
ensuite enrayée. Tout en remédiant à
l'enrayage je poursuivis l'avion dans sa
descente, le suivant jusqu'à 1.800 mètres
en le criblant de projectiles. A cette
hauteur je fus attaqué de très près par
deux autres appareils allemands. J'ai
réussi à rentrer. Mon premier adversaire
est tombé au milieu des tranchées
allemandes et l'artillerie l'a pris comme
cible.
A toi.
KIFFIN.
A la
suite de cette victoire et de son
excellent travail précédent Kiffin fut
proposé pour les galons de
sous-lieutenant. Le 11 septembre toute
l'escadrille arriva à Paris. Elle avait
reçu l'ordre de quitter le secteur de
Verdun et de retourner à Luxeuil. Le
lendemain de leur arrivée à Paris, Kiffin,
Thaw, Hill, Johnson et Hall achetèrent
comme mascotte un lionceau de quatre mois
qu'ils baptisèrent du nom de «Whiskey».
Ils restèrent à Paris jusqu'au samedi
suivant et «Whiskey» fit connaissance avec
la capitale pendant ce temps. C'était un
petit animal intelligent et très
populaire; chacun demandait à ce qu'il
accompagnât nos amis dans leurs visites;
ils étaient devenus eux-mêmes très fiers
de leur acquisition. Jim ne prenait pas sa
part de toute cette gaieté de ses amis,
car il était encore en traitement à
l'hôpital.
Le dimanche 17
septembre, au début de la matinée,
j'accompagnais à nouveau à la gare de l'Est
une équipe d'aviateurs en partance pour le
front. Il y avait cette fois Kiffin,
Lufbery, Masson, Paul Pavelka et Robert
Rockwell, ces deux derniers récemment
arrivés à l'escadrille. En me serrant la
main pour me dire adieu avant de monter dans
le train, Kiffin me dit: «Sois joyeux, je
vais bientôt revenir en permission.»
Six jours plus tard il était tué en combat aérien, au-dessus de Rodern, en Alsace reconquise.
A l'heure
même de sa mort je recevais la dernière
lettre qu'il m'avait adressée, écrite le
mercredi 20 septembre, son vingt-quatrième
anniversaire.
Mercredi.
MON CHER
PAUL,
J'ai reçu ta
lettre ce matin. Le temps est resté froid
et triste depuis notre arrivée ici. J'ai
reçu mon appareil qui est le meilleur que
j'aie eu; je l'ai armé de deux
mitrailleuses. Mais je ne m'attends pas à
travailler beaucoup ici car je crains que
le temps ne soit mauvais le plus souvent.
J'ai retrouvé nombre de gens heureux de me
voir de retour et je crois que nous serons
très bien si nous sommes obligés de passer
l'hiver ici.
Pour le
moment je suis à l'hôtel, mais je suis à
la recherche d'une petite maison agréable
et tranquille pour y habiter, à moins que
le capitaine Happe ne nous oblige à
demeurer sur le champ, ce qui serait
ennuyeux. Rien de neuf au sujet de ma
proposition qui devrait 'arriver
maintenant dans quelques jours.
A toi.
KIFFIN.
Voici sa
dernière citation à l'ordre de l'armée:
Rockwell (Kiffin-
Yates). Pilote américain qui n'a cessé de
faire l'admiration de ses camarades par
son sang-froid, son courage et son audace.
A été tué au cours d'un combat aérien le
23 septembre 1916.
Je me
rendis à Luxeuil pour les obsèques de mon
frère. A mon retour a Paris je trouvai Jim
en permission de convalescence, il avait
quelques jours à passer avec moi. Il était
toujours impatient de retourner à
l'escadrille, mais il se montra plus
pressé encore de rentrer lorsque Norman
fut blessé mortellement en atterrissant de
nuit le 12 octobre au retour d'une mission
de protection des avions français de
bombardement qui avaient causé d'immenses
dégâts dans leur fameux raid au-dessus des
usines de munitions Mauser à Oberndorf.
La mort
courageuse de Prince a déjà été racontée.
C'était lui qui avait fondé 'escadrille
américaine et je souhaiterais pouvoir
insister plus longuement sur ses nombreuses
et exceptionnelles qualités.
Voici deux de
ses citations qui sont malheureusement les
seules que je possède:
Norman Prince, sergent
pilote à l'escadrille V. B. 108, citoyen
américain, engagé volontaire pour la durée
de la guerre. Excellent pilote militaire
qui a toujours fait preuve de la plus
grande audace et de présence d'esprit;
toujours impatient à partir, a pris part à
de nombreuses expéditions de bombardement,
particulièrement heureuses dans une région
où l'artillerie ennemie, par laquelle son
avion fut maintes fois atteint, rendait la
tâche difficile.
Prince (Norman), mle
939. Adjudant pilote à l'escadrille N.
124, en escadrille depuis dix-neuf mois,
s'est signalé par une bravoure et un
dévouement hors de pair dans l'exécution
de nombreuses expéditions de bombardement
et de chasse. A été très grièvement blessé
le 12 octobre 1916 après avoir abattu un
avion allemand. Déjà médaillé militaire.
Jim retourna à
l'escadrille vers la mi-novembre, rejoignant
ses camarades dans la Somme. Le nom du
groupe avait été changé; l'escadrille
américaine était devenue l'escadrille La
Fayette. Le temps froid et humide était trop
malsain pour lui. Un rhumatisme douloureux
se localisa dans ses reins meurtris et après
quelques semaines au front il fut contraint
à nouveau d'entrer à l'hôpital. Il y resta
jusqu'au début de mars. Il apprit que les
forces françaises allaient bientôt faire une grande
offensive, il obtint du médecin qui le
soignait son ordre de sortir de
l'hôpital,passa à Paris rendre quelques
visites et retourna au front le 12 mars.
Il trouva une
mort glorieuse huit jours plus tard, au
cours d'un combat contre trois avions boches
au-dessus de Ham. Son appareil tomba dans un
petit verger, derrière les lignes
allemandes. Trois jours après, les Boches
ayant battu en retraite, une patrouille de
cavalerie française trouva le corps de mon
ami intime étendu près des débris de son
appareil. On lui fit un cercueil
rudimentaire avec les portes d'une maison en
ruines: Jim dort là, à la lisière de Petit
Detroit, dans «les bas quartiers» d'une
petite ville, comme me l'écrivait Chouteau
Johnson.
Comme conducteur dans une ambulance Jim avait gagné la Croix de Guerre avec une citation élogieuse. La voici ainsi que sa dernière citation:
Mc Connell (James) de
la S. S. A. A. 2. Conducteur engagé de la
première heure, animé d'un excellent
esprit, a toujours fait preuve d'un
courage et d'une hardiesse dignes des plus
grands éloges (5 oct. 1915).
Mc Connell
(James-Rogers). Sergent pilote à
l'escadrille N. 124: citoyen américain
engagé au service de la France. Pilote
modeste autant que courageux, disait
souvent à ses camarades: «Tant mieux si je
dois être tué, puisque c'est pour la
France.» A trouvé une mort glorieuse le 19
mars 1917 au cours d'un combat contre des
avions ennemis.
J'ai parcouru
le journal intime que Jim écrivait
scrupuleusement chaque jour. Il avait eu
trente ans le 14 mars. La dernière pensée
qu'il nota dans son journal, à l'issue de
ses vingt-neuf ans, fut celle-ci: «Cette
guerre peut-être ma mort, mais malgré tout
je lui dois une profonde reconnaissance».
Quelques jours
après la mort de Jim Me Connell, les
Etats-Unis déclarèrent la guerre à
l'Allemagne. Depuis lors plusieurs autres
aviateurs américains au service de la France
sont tombés au champ d'honneur. Je pourrais
aussi parler d'eux, mais cet article a été
écrit en mémoire des quatre amis que je
quittais le soir d'avril où ils partaient
pour la première fois au front comme pilotes
d'avions de chasse. Ils ont été les quatre
seuls aviateurs américains morts au combat
pour la France avant que leur patrie ne
sanctionnât la présence de tout Américain
sous les plis du drapeau tricolore.
Si au royaume
des ombres l'âme de mon frère lit ses
lignes, j'espère qu'elle n'aura ni
mécontentement ni colère de ce que j'ai
parlé plus souvent de lui que de ses chers
camarades. Kiffin détestait que l'on parlât
de ce qu'il faisait et il avait coutume
d'insister constamment auprès de moi pour
que j'empêche son nom de paraître dans les
journaux. Il déclarait souvent que ses
camarades français faisaient chaque jour,
sans un mot d'éloge, beaucoup plus qu'il ne
faisait, et qu'il n'était pas juste que l'on
donne une telle importance aux exploits des
aviateurs américains.
Il ne voulait
pas considérer qu'il était un volontaire,
dans cette guerre. Il estimait, comme la
plupart de ses compagnons de l'escadrille
américaine et de la Légion étrangère qu'il
accomplissait simplement son devoir en
combattant pour la France et sa seule
ambition était de bien faire sa tâche et
d'être traité comme un soldat français. Il
ne redoutait pas de mourir pour la France si
cela était nécessaire. La seule fois où il
parla de la mort ce fut dans une lettre à sa
mère, écrite au moment où il allait partir
au front comme aviateur. Il disait:
«Si je meurs je veux
que vous sachiez que je suis mort comme
tout homme devrait mourir, en combattant
pour ce qui est juste. Je n'estime pas que
je combats pour la France seule, mais pour
la cause de l'humanité entière, la plus
noble de toutes les causes».
Et ayant une
âme qui pouvait s'élever au-dessus des
horreurs épouvantables et de la triste
misère de la guerre pour en voir toute la
gloire et tout le prodige, il était logique
qu'il mourut dans la mêlée. Il eut trouvée
trop fade, trop morne, trop vulgaire la
monotonie quotidienne de la vie civile en
temps de paix, après ce qu'il avait vu et
ressenti comme combattant.
J'ai parlé
plus complètement de mon frère parce que
je le connaissais mieux et qu'il était
naturellement le plus près de mon coeur.
Je comprends à merveille la grandeur du
sacrifice que chacun de ses compagnons a
fait.
Il n'aura pas
été vain. La mort de ces quatre aviateurs a
eu un grand effet moral en Amérique et je
crois fermement qu'elle a fait plus que
toute autre chose pour gagner les Etats-Unis
à la cause de la France et de ses alliés.
Le plus grand
hommage que je puisse rendre à Victor, à
Kiffin, à Norman et à Jim, je le rends en
disant que chacun d'eux était digne des
autres.
PAUL AYRES ROCKWELL.
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II. - LES AMÉRICAINS A LA LÉGION
La plupart des
pilotes qui comptent parmi les plus habiles et
les plus ardents de l'escadrille américaine
ont fait leurs premières armes à la Légion
étrangère avant de passer dans l'aviation et
il est hors de doute que l'expérience qu'ils
avaient acquise comme soldats de la Légion
n'ait été pour eux d'un prix inestimable dans
la cinquième arme. Ayant pris l'habitude
d'entendre passer les balles et les obus
allemands dans la guerre de tranchées, ayant
exécuté des charges à la baïonnette, les
anciens légionnaires se trouvèrent beaucoup
plus à leur aise que les pilotes qui voyaient
le feu pour la première fois en avion.
Sur les huit
aviateurs américains qui sont morts jusqu'ici
pour la France quatre avaient commencé la
guerre comme soldats de la Légion Etrangère.
Le sergent Victor Chapman, le premier pilote
des Etats-Unis tombé sous les balles
allemandes s'était engagé comme légionnaire au
troisième régiment de marche du premier
régiment étranger en septembre 1914. Après
avoir fait ses classes à la caserne de
Reuilly, à Paris, il partit pour les tranchées
près de Frise en décembre 1914. Victor était
dans une section de mitrailleuses et son
existence fut une suite d'aventures
passionnantes. Il devint vite l'un des
volontaires les plus connus de son régiment et
fut remarqué pour son courage au feu. En une
occasion il ramena un camarade blessé qui
était tombé entre les tranchées françaises et
allemandes. Eugène Jacob, un Américain qui
était le caporal de Victor et est maintenant
sergent au 170e d'infanterie, fut enseveli par
l'explosion d'un obus. Risquant sa propre vie,
Victor déterra Jacob. Il fut pour ce fait cité
à l'ordre du régiment. En août 1915, Chapman
passa à l'aviation et après un séjour de
quelques semaines dans une escadrille de
bombardement il entra à l'école d'Avord comme
élève-pilote. C'est à Avord qu'il fit la
connaissance de Kiffin Rockwell. Il écrivait à
son sujet à M. John Jay Chapman: «J'ai
trouve ici un compatriote. Je suis fier de
lui. C'est un grand et maigre Carolinien du
nom de Rockwell». Victor se montrait toujours
très fier d'avoir servi dans la Légion et
reregrettait de n'avoir pas attendu
jusqu'après la bataille de Champagne, en
septembre 1915, pour passer dans l'aviation.
Dennis Dowd, si
brillant de jeunesse, qui se tua le 11 août
1916 à l'entraînement à l'école de Buc, était venu en France au
début des hostilités le 24 août 1914 au
deuxième régiment étranger où se trouvaient
Kiffin Rockwell, James J. Bach, Edgar J.
Bouligny, William Thaw, Frederick Zinn, Bert
Hall, Lincoln Chatkoff, Charles Trinkard et
Robert Soubiran, qui devinrent également
pilotes. Dowd avait été blessé au cours de
l'offensive de Champagne, en octobre 1915 et
était entré après guérison dans l'aviation. Il
était considéré par ses camarades de la Légion
comme l'un des plus braves et des plus joyeux
parmi les volontaires.
Le
sous-lieutenant Kiffin Rockwell, qui fut tué
le 23 septembre 1916 en Alsace offrit ses
services à la France auprès du Consul général
de la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, le 3
août 1914. Il partit pour la France quelques
jours plus tard et s'engagea dans la Légion à
Paris le 27 août. Après quatre semaines de classes il
partit au front. L'automne et l'hiver de
1914-15, il les passa dans les tranchées, près
de Craonne, avec le deuxième régiment
étranger. Il entra par mutation au second
régiment de marche du premier étranger en mars
1915 et vécut plusieurs semaines dans les
tranchées du front de la montagne de Reims.
Puis le régiment fut désigné pour le nord de
l'Artois. A l'assaut de La Targette, le 9 mai,
Kiffin reçut une balle dans la cuisse alors
qu'il avait pénétré avec son régiment à cinq
kilomètres à l'intérieur du territoire ennemi.
Il séjourna trois mois à l'hôpital à Rennes et
passa ensuite un mois avec la Légion à La
Valbonne avant d'entrer à l'école d'aviation
d'Avord en septembre 1915.
Le premier pilote de
l'escadrille américaine tué depuis que les
Etats-Unis se sont mis du côté des alliés, le
sergent Edmond Charles Clinton Genet,
s'engagea dans la Légion en janvier 1915 et
fut envoyé quelques semaines plus tard sur le
front dans le régiment de Chapman. Il prit
part en septembre-octobre 1915 à l'offensive
de Champagne et quand son bataillon attaqua
les Allemands dans le Bois Sabot, le 28
septembre, il fut étourdi et projeté dans un
trou de marmite par l'explosion d'un obus.
Reprenant ses sens plus tard, le petit Genet
repartit à l'assaut, dans les rangs d'un
régiment de zouaves qui avançait en soutien de
la Légion. Il fut trois jours avant de pouvoir
rejoindre ses camarades et on l'avait annoncé
comme tué aux Etats-Unis. Genet resta au front
avec la Légion jusqu'en juin 1916, puis il
passa dans l'aviation.
Le sergent H.
Lincoln Chatkoff, un autre ancien légionnaire
devenu pilote, qui s'était engagé en août 1914
est maintenant à l'hôpital, grièvement blessé
dans un accident d'aéroplane sur le terrain de
l'escadrille La Fayette le 15 juin. Chatkoff
avait emmené le conducteur d'une ambulance de
la Croix-Rouge faire un tour sur son Caudron.
A cinquante mètres il ne fut plus maître de
son appareil qui piqua à la verticale jusqu'au
sol. Le conducteur de la Croix-Rouge fut tué
sur le coup et Chatkoff eut une fracture du
crâne, une cuisse et un bras brisés et des
lésions internes.
A la Légion
Chatkoff était un caractère. Il n'était pas
seulement réputé pour son courage mais aussi
pour ses qualités extraordinaires de comédien.
Quand on demanda en septembre 1914 parmi les
volontaires quels étaient ceux qui avaient
déjà vu le feu pour les envoyer au front,
Chatkoff se présenta. Interrogé au sujet de
l'armée dans laquelle il avait déjà servi il
répondit qu'il avait passé cinq ans comme
soldat à l'Armée du Salut. Le sergent
légionnaire qui interrogeait Chatkoff ne
savait pas ce qu'était l'Armée du Salut et
l'envoya au front. Chatkoff, une autre fois,
refusa de se faire couper les cheveux,
déclarant qu'il était Indien Peau-Rouge et
Américain et que sa religion exigeait qu'il
portât les cheveux longs afin de permettre à
son vainqueur de le scalper au cas où il
serait tué. Chatkoff passa dans l'aviation en
juin 1916 en même temps que notre pauvre
Genet.
Le sergent James
J. Bach, qui quitta la Légion en décembre 1914
pour devenir aviateur est le seul pilote
américain que l'on sache prisonnier en
Allemagne. Bach fut capturé par les Boches au
cours de l'été 1915 dans les circonstances les
plus dramatiques. Un aviateur français et lui,
chacun sur un biplace. étaient chargés d'une
mission très particulière et périlleuse loin à
l'intérieur des lignes allemandes. Les deux
pilotes quittèrent leur champ d'aviation
ensemble, mais au bout d'un instant ils se
perdirent de vue dans les nuages.
Chacun volait seul et
Bach pouvait tort bien traverser les lignes et
accomplir avec succès sa mission sauf incident
malencontreux. En revenant dans nos lignes,
alors qu'il se trouvait encore assez loin en
territoire allemand, il remarqua que quelque
chose brûlait sur le sol. Pour une raison ou
une autre ce feu qui flambait attirra son
attention et il descendit plus bas pour savoir
exactement de quoi il retournait. En arrivant
à trois cents mètres d'altitude il découvrit
que c'était un avion en flammes. A côté de
l'appareil, un pilote en uniforme français et
à quelque distance, s'avançant rapidement, une
patrouille de soldats allemands.
Que devait-il
faire? Voler tranquillement jusqu'au camp et
abandonner son camarade d'aviation à son sort,
ou bien descendre, essayer de le cueillir et
de repartir avec lui sain et sauf dans les
lignes françaises? Bach n'hésita pas
longtemps. Il atterrit, mais, hélas, avant
qu'il put décoller avec son camarade à bord
les Allemands étaient déjà sur eux et les
faisaient tous deux prisonniers. Bach accusé
d'être un espion et un franc-tireur américain
passa deux fois en conseil de de guerre, mais
grâce au concours d'un habile avocat appelé de
Berlin il fut acquitté. Le pilote français que
Bach avait tenté de sauver raconta l'histoire
dans une lettre adressée en France et je me
suis laissé dire qu'à la fin de la guerre
l'Américain recevrait la Médaille Militaire,
si toutefois il peut survivre à l'enfer d'un
camp de prisonniers chez les Huns.
Le lieutenant
William Thaw, l'un des pilotes les plus connus
actuellement de l'escadrille américaine,
s'engagea à la Légion en août 1914 et sait
bien ce qu'est la vie de tranchées. Il quitta
la Légion en décembre 1914 en compagnie de
Bert Hall qui, après être resté comme pilote
un certain temps à l'escadrille La Fayette,
est rentré aux Etats-Unis.
Les sergents
Robert Soubiran et William E. Dugan, qui sont
maintenant à l'escadrille La Fayette au front,
ont servi tous deux pendant plus d'un an à la
Légion. Soubiran fut blessé à la bataille de
Champagne, en octobre 1915, et Dugan fut
blessé à son tour en mai 1916 en combattant à
Verdun comme fantassin. Dugan gagna la Croix
de Guerre à l'affaire du Bois de Caillette.
Marius Rocle, qui
fit son apprentissage de pilote, mais fut
envoyé au front comme observateur-mitrailleur,
était le plus jeune des volontaires américains
dans le régiment de la Légion de Chapman. Il
reçut la Croix de Guerre en 1915 en Champagne.
Il passa dans l'aviation après avoir été
blessé.
Le sergent Paul
Pavelka, de l'escadrille N. 391, le seul
aviateur américain à l'heure actuelle qui soit
allé dans les rangs français à l'armée
d'Orient, est l'un des deux survivants de la
fameuse section américaine du second régiment
de marche du Ier étranger. Il vint en France
en octobre 1914 avec l'«Armée de Counani»,
obtint sa libération de
ce corps et entra dans la Légion. Quand la
Légion monta à l'assaut au nord d'Arras, le 9
mai 1915, ce fut Pavelka qui pansa la blessure
à la cuisse de Kiffin Rockwell. Cinq semaines
plus tard, le 16 juin, quand la Légion marcha
contre les ouvrages allemands qui entouraient
Givenchy, Pavelka fut atteint à la jambe d'un
coup de baïonnette porté par un Bavarois. Le
Boche jeta ensuite son fusil en criant:
«Kamarade! Kamarade!» Pavelka, dont le sang
coulait à flots, répondit: «Pas de Kamarades
aujourd'hui» et lui fit sauter la cervelle.
La blessure de Pavelka se
guérit à temps pour lui permettre de
retourner à la Légion participer à toute
l'offensive de Champagne, de
septembre-octobre 1915. Il vint me voir en
permission peu après la bataille, avec un
uniforme littéralement criblé de trous de
balles. Nous enlevâmes bon nombre de
parcelles de shrapnells et d'éclats d'obus
du drap de sa capote. Il partit dans
l'aviation en décembre 1915 et après un
entraînement à Pau et à Cazeaux rejoignit
l'escadrille La Fayette au front de Verdun
en juillet 1916. Peu après son arrivée, son
avion prit feu alors qu'il volait au-dessus
de Verdun, et il s'en fallut de peu qu'il ne
soit brûlé vif. Par bonheur il put atterrir
dans un marais près de la ville mais il
assure qu'il n'oubliera jamais les
impressions qu'il éprouva dans son appareil
en flammes.
En décembre Pavelka demanda à faire partie
des escadrilles de l'armée d'Orient, et la
dernière lettre que j'ai reçue de lui
m'informait qu'il volait au-dessus de la
Serbie.
Quatre anciens légionnaires américains se
trouvent à l'heure actuelle dans les écoles
d'aviation et chacun d'eux mérite d'être cité.
Le sergent Edgar J. Bouligny, qui est à
l'école d'Etampes, est venu de la
Nouvelle-Orléans et entra à la Légion en août
1914. Il est Français d'origine. L'un de
ses grands-oncles, Dominique Bouligny,
commandait un régiment français en Louisiane,
et, quand Napoléon céda ce territoire aux
Etats-Unis, il devint citoyen américain et
plus tard sénateur au congrès [national. Edgar
Bouligny gagna la Croix de Guerre et les
galons de sergent comme légionnaire. Il fut
blessé quatre fois, la première fois par
l'explosion d'un obus, puis par un coup de
couteau au cours d'une rencontre avec une
patrouille des Huns. En Champagne, en 1915, il
fut blessé à l'aine par une balle de
mitrailleuse et en janvier dernier il faillit
perdre la jambe à la suite d'une blessure dûe
à l'éclatement d'une grenade boche. Il est
dans une école d'aviation depuis quelques
semaines seulement.
A Avord se
trouvent John Charton, Charles Trinkard et
Laurence Scanlan, qui tous ont passé de longs
mois à la Légion où ils ont été blessés.
Charton faillit être tué par une mitrailleuse
à Belloy-en-Santerre le 4 juillet 1916 et
resta pendant plusieurs mois à l'hôpital.
Quand il fut rétabli il retourna au front dans
un régiment de zouaves qu'il vient de quitter
pour apprendre à piloter à Avord.
Trinkard endossa l'uniforme français en août
1914. Il fut grièvement blessé à l'assaut du
Bois Sabot, le 28 septembre 1915 et après sa
guérison combattit pendant longtemps dans la
Somme. Il vient d'être breveté à Avord.
Scanlan est l'un des héros les plus modestes
de cette guerre. Il m'en voudra de parler de
lui en ces termes, mais je tiens à dire ce que
je pense de lui. A la fin de 1914 il vint en
France avec son ami intime, Russell Kelly. Ils
s'engagèrent ensemble à la Légion et furent
versés au Ier régiment. A leur arrivée au
front ils furent incorporés dans la section
américaine de ce régiment et passèrent un
certain temps dans les tranchées de Champagne.
Les deux
camarades sortirent indemnes de l'attaque au
nord d'Arras, le 9 mai, mais le 16 juin à
Givenchy, Kelly fut tué. Scanlan fut blessé à
la cuisse par une balle allemande et eut l'os
terriblement fracassé. Il resta étendu sur le
champ de bataille sans pouvoir faire un
mouvement, sans nourriture ni boisson pendant
cinquante-six heures avant d'être recueilli
par les brancardiers transporté à l'arrière et
envoyé dans un hôpital.
Scanlan resta à l'hôpital près de dix-neuf
mois. On dut l'opérer nombre de fois et il
souffrit comme un damné. Enfin il se rétablit
mais sa jambe droite avait raccourci de près
de cinq centimètres et il ne marchait qu'avec
beaucoup de difficultés et non sans douleur.
Le 26 janvier 1917 Scanlan fut réformé n° I,
avec pension, au dépôt de la Légion à Lyon. Le
lendemain matin vers dix heures il était chez
moi, à Paris. «Je ne puis plus servir à la
Légion désormais, me dit-il; je vais m'engager
dans l'aviation. Je n'aime pas les Allemands».
Le sergent Mac
Connell, mort depuis, se trouvait à Paris pour
quelques jours. L'après-midi même nous allâmes
avec Scanlan voir le docteur Edmond Gros,
l'examinateur au point de vue médical des
candidats américains demandant à entrer dans
l'aviation. Le docteur Gros examina Scanlan et
trouva qu'à part l'usage de sa jambe le jeune
physiques. Le gaillard était solide comme
l'acier et son désir de devenir aviateur était
tellement indéniable qu'il fut accepté. Je
l'ai vu à Avord il y a quelques jours ; ses
progrès sont rapides. J'ai remarqué aussi
qu'il ne portait pas la Croix de Guerre qu'il
a gagnée et nombre des camarades d'école avec
lesquels il s'entraînait depuis des semaines
furent surpris lorsque je leur dis que Scanlan
avait combattu pendant de longs mois à la
Légion et y avait été grièvement blessé. |






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VERDUN
PAR LE
SERGENT MAC CONNELL Extrait de
Soldats de l'air pour la France
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Sous les toiles d'un
vaste hangar des mécaniciens sont au travail
sur un moteur d'aéroplane. Au dehors, au bord
du champ d'aviation d'autres flânent en
attendant que leur colis aérien rentre des
nues. Près du hangar une tente gréée en hutte,
devant laquelle plusieurs biplans à ailes
courtes sont en ligne. A l'intérieur trois ou
quatre jeunes gens se prélassent dans des
fauteuils d'osier.
Ils portent l'uniforme des aviateurs français.
Ces uniformes et les mitrailleuses menaçantes
fixées sur le plan supérieur du petit
aéroplane sont les seules notes guerrières
dans cette scène joliment paisible. La guerre
semble très loin. On a du mal à croire que la
plus formidable de toutes les batailles -Verdun-
fait rage à quarante kilomètres à peine dans
le Nord et qu'aérodrome et mécaniciens et
pilotes et aéroplanes y jouent tous leur rôle.
Soudain on entend dans le lointain le
bourdonnement d'un moteur. L'un des pilotes
apparaît hors de la tente et regarde fixement,
dans le ciel bleu. Il désigne, et chacun
aperçoit un point noir parmi le bleu, très
haut au-dessus des têtes. Le bruit du moteur
cesse et le point se fait plus gros. Il
approche de la terre en descentes à pic et en
spirales et lorsqu'il est plus près il prend
la forme d'un aéroplane. Maintenant chacun
peut discerner les cercles rouges, blancs et
bleus des cocardes sous les ailes qui
distinguent les avions de guerre français, et
aussi les emblèmes personnels du pilote sur
les flancs du fuselage.
- Ton patron
arrive! crie un mécanicien à un
camarade.
L'appareil plonge à pic jusqu'au-dessus des
hangars puis se redresse en arrivant au sol à
une vitesse vertigineuse, file à quelques
pieds au-dessus de terre, et enfin perdant son
élan en un délai étonnamment court, touche
l'herbe de la queue et des roues. Il glisse
pendant assez longtemps, puis, son moteur
ronronne a nouveau, il roule, vire, se dirige
vers son hangar et s'arrête enfin. Une forme
humaine, gainée d'une sorte de carapace qui a
tout l'aspect d'un équipement de scaphandrier,
le chef revêtu de lunettes et d'un casque de
cuir se dresse sans hâte dans la carlingue,
enjambe maladroitement par-dessus bord et se
laisse glisser maladroitement encore jusqu'à
la terre ferme.
Un groupe de fantassins, au repos pour
quelques jours à l'arrière des tranchées dans
un cantonnement près du champ s'éparpillent de
l'avant et se groupent timidement autour de
l'aéroplane, attendant bouche bée ce que le
pilote va raconter.
-Zut! maugrée celui-ci, tandis qu'il se met en
devoir de quitter sa tenue de vol.
-Quelque chose n'a pas marché? lui demande
l'un de ses camarades de tente.
-Tout, ou bien je perds mon nom, lui répond
une voix indignée, tandis qu'une jambe essaie
de se dégager d'une fourrure d'ours. Quoi! Je
vide ce matin mon chargeur sur un Boche, en
pleine mouche, à moins de quinze mètres. Sa
mitrailleuse cesse de tirer, son hélice ne
tourne plus, et malgré cela le bougre d'animal
reste là-haut comme s'il était coincé dans les
nuages. Je te dis: j'étais si sûr de l'avoir
que je me suis retenu pour ne pas aller sur
lui lui crier: «Eh bien, tombe! Quoi!
Qu'est-ce que tu attends!»
Les yeux des poilus s'écarquillaient de
surprise. De tout ce dialogue, débité dans le
plus pur américain, il n'y avait pas un mot
qu'ils pussent comprendre. Eh quoi, se
demandèrent-ils, voilà des aviateurs, sous
l'uniforme francs, qui s'expriment en langue
étrangère! Finalement l'un d'eux, un petit
gars dont l'uniforme bleu-horizon était depuis
longtemps déteint par la boue de la ligne de
feu s'enquit à voix basse auprès d'un
mécanicien de l'identité de ces oiseaux
étrangers.
- Mais ce sont les Américains, mon vieux, lui
répondit l'autre avec une condescendance
visible.
S'étonnant de plus belle les fantassins
demandent de plus amples détails. Ils
apprennent qu'ils viennent d'assister à la
rentrée de l'escadrille américaine -composée
d'Américains qui se sont engagés comme
aviateurs dans l'armée française pour la
durée de la guerre- à son champ d'aviation
auprès de Bar-le-Duc, à quarante kilomètres au
sud de Verdun et qu'elle revient de survoler
la bataille sur les rives de la Meuse. Ils ont
à peine eu le temps de se faire à cette
révélation que d'autres points apparaissent
dans le ciel qui, un à un, se
transforment en aéroplanes à mesure qu'ils
descendent des nues. Finalement les six
appareils qui sont partis sont de retour et
l'escadrille américaine a à son actif une
expédition de plus au-dessus des lignes
allemandes.
Le personnel de l'escadrille.
Comme toutes les institutions
qui se respectent l'escadrille américaine,
dont j'ai l'honneur d'être l'un des
membres, a grandi peu à peu. Au début de
la guerre il est douteux qu'il y ait eu
quelqu'un pour envisager la possibilité
pour un Américain d'entrer dans
l'aviation française. Et cependant, vers
la fin de 1915, un peu plus d'un an après,
il y avait six Américains, vaillants
pilotes, en escadrille, et maintenant au
cours de l'été 1916, notre goupe comprend
plus de quinze me mbres, tandis qu'un
nombre d'élèves deux fois plus élevé
s'entraîne dans les écoles militaires
d'aviation.
Le précurseur, parmi tous, fut William
Thaw, de Pittsburg, qui est à l'heure
actuelle le seul Américain ayant sa
commission d'officier dans l'aviation
française. Le lieutenant Thaw, aviateur de
grande réputation en Amérique avant la
guerre, s'était engagé dans la Légion
Etrangère en août 1914. Avec de vives
difficultés il réussit à passer dans
l'aviation au début de 1915, et à
l'automne de la même année il pilotait un
biplan Caudron sur le front et faisait un
excellent travail de reconnaissances. A la
même époque les sergents Norman Prince, de
Boston, et Elliot Cowlin, de New-York, qui
furent les premiers à entrer dans
l'aviation dès leur arrivée des
Etats-Unis, se trouvaient aux armées comme
pilotes de Voisin-canon.
Le sergent Bert Hall, qui avait réussi à
quitter la Légion pour l'aviation peu
après Thaw, était sur avion de chasse
Nieuport et un peu plus tard faisait
l'apprentissage des jeunes pilotes à
l'école d'aviation d'Avord. Son camarade
inséparable à la Légion, James Bach, qui
était devenu pilote lui aussi, eut la
guigne notoire, peu de temps après son
arrivée au front, d'être le premier
Américain tombé aux mains de l'ennemi. En
allant au secours d'un camarade qui avait
brisé son appareil en déposant un espion
dans les lignes allemandes, Bach écrasa
son avion contre un arbre. Lui et
l'aviateur français furent aits
prisonniers et Bach fut traduit deux fois
en conseil de guerre par les Allemands
sous l'inculpation d'être un franc-tireur
américain, inculpation qui entraîne la
peine de mort! Il fut acquitté, mais
languit encore à l'heure actuelle dans un
camp de prisonniers «quelque part en
Allemagne». Le sixième, dans ce premier
sextuor fut l'adjudant Didier Masson, qui
avait fait des exhibitions aériennes aux
Etats-Unis jusqu'au jour où, Carranza
ayant eu ayant eu l'ambition de gouverner
le Mexique, il mit ses talents à la
disposition du général Obregon et servit
d'éclaireur aérien contre les Fédéraux.
Quand la grande guerre éclata, Masson
obéit à l'impulsion de son sang français
et fut bientôt pilote et combattant sur la
terre de ses ancêtres.
Parmi les
autres membres de l'escadrille américaine
Raoul Lufbery, citoyen et soldat
américain, mais globe-trotter également,
fut l'un des premiers à porter les ailes
d'aviateur français. Des exhibitions en
Extrême-Orient avec le pilote Marc Pourpe
l'avaient préparé admirablement à lancer
patiemment des bombes sur les
cantonnements allemands en pilotant son
premier appareil, un Voisin peu rapide.
Aussitôt après Lufbery arrivèrent deux
nouveaux gradés de la Légion Etrangère
-Kiffin Rockwell, de Ascheville, Caroline
du Nord, qui avait été blessé à Carency et
Victor Chapman, de New-York, qui après
guérison de ses blessures était devenu
bombardier en avion et avait pris ainsi la
vocation de devenir pilote. Vers cette
époque Paul Pavelka, né à Madison, dans le
Connecticut, et qui depuis l'âge de quinze
ans avait navigué sur les sept mers, se
débrouillait pour quitter la Légion
Etrangère et rejoindre à l'école
d'aviation de P... les autres Américains.
Il semble y avoir dans l'aviation une
sorte de fascination, et spécialement
quand il s'y joint l'attrait du combat.
Peut-être cela vient-il de ce que le jeu
est nouveau, mais plus vraisemblablement
de ce qu'en somme personne ne sait rien de
l'aviation. Quel qu'en soit le motif, les
jeunes Américains épris d'aventures furent
de plus en plus nombreux à être attirés
par le métier d'oiseau. Un grand nombre,
toutefois, ne subirent jamais la
fascination au delà de l'intention,
manifestée en paroles, de se joindre à
leurs camarades. Parmi les amis en service
aux ambulances américaines de campagne
l'engouement fut général, mais il y eut
peu d'appelés à l'aviation jusqu'au jour,
au milieu de l'été 1915, où le ministre de
la guerre, estimant que les premiers
pilotes américains avaient fait
d'excellente besogne, se montra plus
enclin à donner suite aux demandes
nouvelles.
Chouteau
Johnson, de New-York, Lawrence Rumsey, de
Buffalo, Dudley Hill, de Peekskill, état
de New-York, et Clyde Balsley, de San
Antonio, dans le Texas quittèrent
successivement l'uniforme khaki de
conducteur d'ambulance pour la tenue
bleu-horizon de l'aviation. Tous ils
avaient assisté à de nombreux combats,
ramassant les blessés sur la ligne de feu,
mais ils étaient tous las d'être à la
bataille sans y combattre. Les mêmes
sentiments s'étaient plus ou moins emparés
de moi, je le suppose. J'étais venu de
Carthage, Caroline du Nord, en janvier
1915 et étais employé à la section de
l'ambulance américaine du Bois-le-Prêtre.
J'avais toujours eu la conviction que les
Etats-Unis devaient coopérer à la guerre
contre l'Allemagne. Avec cette conviction
il était pleinement logique que j'en
arrive à faire plus que de conduire une
ambulance. Plus je vis la splendeur de la
lutte où la France se mesurait avec
l'ennemi, plus je me semblai être un
embusqué -ce que les Anglais appellent un
«Skirker», un truqueur. Aussi
décidai-je d'entrer dans l'aviation.
Un service spécial avait été créé pour
l'examen des demandes des Américains, la
mienne fut accueillie favorablement en
l'espace de quelques jours. Il m'en fallut
quatre autres pour passer dans les
différents bureaux, apposer ma signature
sur une centaine de pièces et passer
l'examen physique. Puis je fus envoyé au
dépôt de D... et revêtu d'un uniforme et
de mon équipement. Ma destination suivante
fut l'école de P... où l'on m'apprit à
voler. Mon allégresse en y arrivant
n'était inférieure qu'à mon contentement
d'être un soldat français. C'était un
avancement énorme, pensais-je, sur
l'ambulance américaine.
Les entretiens sur l'intention de former
une unité d'aviation américaine prirent
corps pendant que j'étais à Pau. On se
disait qu'avec les pilotes déjà brevetés
et les élèves qui se trouvaient dans les
écoles d'aviation il y avait largement le
nombre de nos compatriotes nécessaire pour
piloter la douzaine d'aéroplanes que
compte une escadrille. Chaque jour il y
avait quelqu'un pour affirmer «de toute
certitude» que nous allions être appelés à
former une unité sur le front et chaque
jour aussi il était dit que le fait était
controuvé. Mais finalement, au mois de
février, notre rêve devint une réalité.
Nous apprîmes qu'un capitaine avait été
désigné pour commander une escadrille
américaine et que les pilotes américains
qui se trouvaient au front allaient être
rappelés et placés sous ses ordres. Peu
après, nous eûmes un nouveau
tressaillement de joie.
Thaw, Prince, Coudin et les autres
vétérans allaient s'entraîner sur
Nieuport! Cela voulait dire que
l'escadrille américaine serait sur
Nieuport -le meilleur type d'avion de
chasse- et par conséquent qu'elle serait
une escadrille de combat. Il est
nécessaire d'expliquer ici par parenthèse
que l'aviation militaire française, dans
l'ensemble, est divisée en trois groupes,
les avions de chasse ou aéroplanes de
poursuite qui ont pour objet de descendre
l'ennemi; les avions de bombardement
monstres, volumineux et pesants utilisés
pour jeter des bombes au cours des raids;
les avions de réglage, oiseaux peu
maniables destinés à régler le tir, à
prendre des photos et à faire des
reconnaissances. (A suivre.)

|
Extraits:
Chasseurs au groupe "La Fayette": du Nieuport
au Thunderbolt 1916-1945
By Jean Gisclon; e-book sans
grande valeur historique, apporte quelques
précisions, lepeps.

L'ESCADRILLE LA FAYETTE AU
DÉPART
L'escadrille
La Fayette vient d'être l'o1bjet de la
citation suivante: «Escadrille composée de
volontaires américains venus se battre pour
la France avec le plus pur esprit de
sacrifice. A mené sans cesse, sous le
commandement du capitaine Thenault qui l'a
formée, une lutte ardente contre nos
ennemis. Dans des combats très durs et au
prix de pertes graves qui, loin d'affaiblir,
exaltaient son moral, a abattu 28 avions
adverses. A excité l'admiration profonde des
chefs qui l'ont eue sous leurs ordres et des
escadrilles françaises qui, combattant à ses
côtés, ont voulu rivaliser de valeur avec
elle».
Deux
braves au service de la France: le
sergent Mac Connell, auteur du récit
ci-contre, tué, et Paul-Ayres Rockwell,
légionnaire, notre collaborateur blessé
au champ d'honneur.
LES DEUX LIONCEAUX: WISKEY
AND SODA
Les
porte-bonheur de l'escadrille sont, on le
sait, deux lionceaux qui, apprivoisés, n'ont
encore jamais fait montre de leur caractère
sauvage. Wiskey a été victime d'un accident
qui lui a coûté un oeil. Le pauvre animal
n'a pas perdu de sa gaîté et se fait
consoler par sa compagne, Soda.
De gauche à
droite, les pilotes Huffer (4 avions
officiels), Balsley (grièvement blessé),
Johnson (1 avion), Hill, Pavelka (1
avion, actuellement à Salonique) et
Rumsey. L'as de l'escadrille, le
sous-lieutenant Lufbery a abattu son 11e
avion officiel le 4 septembre et en a
très probablement détruit un le 5 et un
autre le 6 septembre.
La popote de
l'escadrille La Fayette est très
confortablement installée. A
l'entrée, nous voyons, prenant leur
café, les sergents Lovell et
Johnson, vainqueurs d'un Boche
chacun.
|
suite
Le Nieuport est le plus
petit, le meilleur grimpeur et le plus rapide
des biplans de l'armée française. Il peut
atteindre.............
à l'heure, est
monoplace, avec une mitrailleuse sur son plan
supérieur que le pilote actionne d'une main
tandis que de l'autre main et avec ses pieds
il dirige son appareil. Les Français appellent
leurs pilotes de Nieuport les «as». Aussi n'y
a-t-il pas à s'étonner de notre fierté à être
admis dans cette auguste confrérie.
Avant que l'escadrille américaine fut
constituée, Thaw et Cowdin, qui pilotaient le
Nieuport, se débrouillèrent pour être envoyés
sur le front de Verdun. Pendant leur
séjour, Cowdin y descendit, officiellement, un
avion allemand et fut proposé pour la Médaille
Militaire.
Lorsqu'il a terminé son entraînement passé son
brevet de pilote militaire et fait un
stage à l'école de perfectionnement du type
d'appareil qu'il doit monter sur le front,
l'aviateur est dirigé sur la Réserve Générale,
près de Paris pour y attendre son affectation.
Kiffin Rockwell et Victor Chapman y étaient
restés pendant des mois; j'y arrivais à peine
que, le 16 avril, des ordres vinrent d'envoyer
les Américains rejoindre leur escadrille à
Luxeuil, dans les Vosges.
Notre note fut fébrile!
Jamais les équipements de vol, les
combinaisons fourrées ne sortirent du magasin,
les valises ne furent bouclées, les services
de l'administration avec tous leurs bureaux
mis en branle avec une telle précipitation,
une telle impétuosité. En quelques heures nous
arrivions à monter dans le train, essoufflés
mais heureux. Notre équipe se composait du
sergent Prince, de Rockwell, Chapman et moi
qui étions seulement caporaux à cette époque.
Nous fûmes rejoints à L..... par le lieutenant
Thaw et les sergents Hall et Cowdin.
Pour les vétérans notre arrivée au front était
dénuée d'imprévu, mais pour les trois
néophytes, Rockwell, Chapman et moi, c'était
le commencement d'une nouvelle existence,
l'entrée dans un monde inconnu. Cependant
Rockwell et Chapman avaient vu bien des choses
de la guerre à terre, mais la guerre aérienne
était une nouveauté pour eux comme pour moi.
Pour nous tous elle offrait des occasions sans
nombre d'initiative et de résultats au bénéfice de la France,
et pour nous tous, aussi, elle
constituait la résurrection de notre
personnalité., disparue pendant les mois dans
la tranchée avec la Légion Etrangère. Rockwell
résuma tout cela de façon caractéristique:
— Parfait, nous avons pris le départ, nous
sommes en course, remarqua-t-il.
La vie de pilote au front.
Il y a un changement considérable dans la vie
du pilote dès qu'il arrive au front. Pendant
la période d'entraînement il est soumis à des
règlements et à une discipline aussi stricts
qu'à la caserne, mais une fois appelé à faire
son devoir sur la ligne de feu on le traite
sur le même pied qu'un officier, quel que soit
son grade. Sauf quand il est de garde son
temps est à lui. Il n'y a ni appels, ni
contraintes militaires diverses et au lieu de
la paillasse sur laquelle il dormait étant
élève-pilote, il a un vrai lit, dans une
chambre qui lui est personnelle, et les
services d'un ordonnance. De même, les hommes
du grade le plus élevé qui se trouvent en
relations avec l'escadrille le traitent avec
respect. Ses deux mécaniciens sont sous ses
ordres. En notre qualité de volontaires, nous,
Américains, sommes entourés par le
gouvernement français, toujours généreux,
d'une plus grande considération et il veille à
ce que nous soyons en toutes choses traités du
mieux possible.
A notre arrivée à L..... nous trouvâmes à
notre rencontre le capitaine Thénault,
l'officier français qui commande l'escadrille
américaine - officiellement désignée sous le
numéro..... — et fûmes emmenés au champ
d'aviation dans l'une des voitures légères qui
nous étaient affectées. Je goûtai fort ce mode
de locomotion. Adossé aux cuirs capitonnés de
la voiture je me rappelais le jours de mon
apprentissage à Pau, alors qu'il
me fallait faire six kilomètres à pied pour
aller chez la blanchisseuse.
L'équipement qui nous attendait au champ était
encore plus impressionnant que notre
automobile. Tout était flambant neuf, depuis
les quinze tracteurs Fiat jusqu'au magasin,
aux bureaux, aux baraquements.
Et les hommes affectés à l'escadrille! A
première vue on eut dit l'armée du Nicaragua —
mécaniciens chauffeurs, armuriers,
motocyclistes, téléphonistes, opérateurs de
télégraphie sans fil, brancardiers,
secrétaires! Plus tard j'appris qu'ils étaient
environ soixante-dix et tous très contents de
faire partie de l'escadrille américaine.
Dans leurs hangars se trouvaient nos coquets
petits Nieuport. Je contemplai le mien avec
une conscience nouvelle de mon importance et
je donnai des ordres à mes mécaniciens pour la
simple satisfaction de me confirmer que je
pouvais le faire. Se trouver être l'unique
propriétaire d'un avion de combat est un vrai
plaisir, je vous l'assure. On s'y accoutume
par la suite, quand on en a usé deux ou trois
— aux frais du gouvernement français.
Des chambres nous étaient assignées dans une
villa voisine des fameux bains d'eaux chaudes
de L..... où les cohortes de César aimaient
prendre leur repos. Nous faisions popote avec
nos officiers, le capitaine Thenault et le
lieutenant de Laage de Meux au meilleur hôtel de la ville. Une
automobile y était à demeure pour nous
transporter au champ. Je commençais à me
demander si je n'étais pas en villégiature
d'été plutôt que soldat.
Parmi les pilotes qui nous avaient reçus à
bras ouverts se trouvait le fameux capitaine
Happe, commandant du groupe de bombardement de
L.... Le vaillant bombardier, dont la tête a
été mise à prix par les Allemands, était à son
poste de commandement. Quand, nous fûmes
introduits il nous désigna huit petites boîtes
rangées sur sa table.

— Voici les croix de guerre destinées aux
familles des hommes que j'ai perdus dans ma
dernière expédition, expliqua-t-il, et
il ajouta: «C'est une bonne chose que vous
soyiez ici pour nous protéger. Il y a des tas
de Boches dans ce secteur.»
Je pensai au luxe dont nous jouissons; le
confort de nos lits, les bains, les
automobiles et je me rappelai l'ancienne
coutume d'accorder à l'homme choisi pour le
sacrifice tout le bonheur possible avant le
jour fixé pour l'immolation.
Pour nous familiariser avec les quelques
endroits où il était possible d'atterrir sans
risques, on nous fit parcourir en auto les
Vosges et l'Alsace.
Ce fut une occasion délicieuse de visiter ce
glorieux pays et nous l'appréciâmes d'autant
plus que nous savions que tout son charme
serait perdu quand nous le survolerions de
là-haut. Du ciel la surface terrestre perd
tout son pittoresque. La beauté ravissante du
val d'Ajol, avec sa montagne escarpée hérissée
d'une masse dense de pins géants, les milliers
de cascades descendant les pentes par de
féériques avenues de verdure, le mugissement
du torrent dans la vallée, toute cette
splendeur vue d'un aéroplane à 4.000 mètres
n'apparaît plus que comme une surface unie,
toute verte, avec de minuscules rubans
d'argent.
L'escadrille américaine avait été envoyée en
premier lieu à L.... pour acquérir
l'homogénéité nécessaire à une unité aérienne.
De plus il fallait aussi que les jeunes
pilotes s'accoutument aux batteries
anti-aériennes et se familiarisent avec le
rôle de l'aviation au-dessus du champ de
bataille. Ils tiraient bien, les canons
spéciaux, dans ce secteur. L'appareil de Thaw
fut touché à l'altitude de 4.600 mètres. Le
souvenir de la première sortie d'ensemble que
fit l'escadrille restera toujours vivant dans
mon esprit car ce fut en même temps ma
première excursion au-dessus des lignes.
Sergent MAC CONNELL (A
suivre.) |
Avec les Américains comme
avec les Anglais le sport ne perd jamais ses
droits. A l'escadrille La Fayette, c'est,
bien entendu, le base-ball, jeu national,
qui intéresse particulièrement le personnel.
Les pilotes s'y livrent avec passion les
jours de mauvais temps. Sur notre cliché, on
reconnaît le sous-lieutenant Lufbery.
Le lieutenant Thaw,
l'un des fondateurs et des meilleurs
pilotes de l'escadrille La Fayette, a
été choisi comme porte-drapeau de la
fameuse unité.
Lufbery a abattu
son 11e avion le 4 septembre et son
12e le 22. Le 24, le sergent Mac
Monagle était tué en combat.
|
suite
Nous devions partir à 6 heures du matin. Le
capitaine Thenault nous indiqua sur la carte
notre itinéraire. N'ayant encore jamais volé
au-dessus de la région j'avais peur de me
perdre. Aussi, comme il est plus facile de
ne pas perdre de vue d'autres avions lorsqu'on est au-dessus d'eux, je me mis à grimper le
plus vite possible, dans l'intention de
suivre ensuite dans le sillage de mes
compagnons. A moins d'avoir une grande
habitude de voler en groupe, cependant, il
est difficile de garder le contact. Les
minuscules avions de chasse sont de tout
petits points dans la grande étendue du
paysage en dessous et du ciel sans limites
au-dessus. L'air était brumeux et des nuages
se rassemblaient. Au-dessus ils semblaient
former une barrière. Bien qu'au sol la
visibilité fût parfaite, à l'horizon tout
nageait dans la brume. Tandis que je passsai
au-dessus du « coton», à 2.300 mètres, je
perdis de vue tous mes camarades. Même quand
ils ne sont pas étroitement soudés, les
nuages lorsqu'on les domine de tout près
paraissent un banc de neige compact. Les
intervalles entre eux ne peuvent se
discerner. C'est comme si l'on était
au-dessus d'une plaine de glace polaire.
Au sud je vis surgir les Alpes. Leurs pics
étincelants émergeant de la mer de nuages
m'apparaissaient comme de majestueux
icebergs. Aucun appareil en vue, nulle part,
et je devenais très incertain sur ma
position. Mon splendide isolement était
devenu accablant lorsque, un par un, les
autres commencèrent à surgir de la plaine de
nuages et je me trouvai à nouveau dans le
groupe.
Nous arrivions au-dessus de Belfort et
mettions le cap sur les tranchées. Les bancs
de nuages laissés en arrière, nous vîmes en
dessous de nous la riante plaine d'Alsace
s'étendant à l'est jusqu'au Rhin. Il était
singulièrement agréable de survoler ce pays
conquis. En poursuivant ma course le long du
canal qui se dirige vers le Rhin, d'une
hauteur de plus de quatre mille mètres,
au-dessus de Dannemarie, j'aperçus sur le
sol des séries de traces brunes, comme
celles des vers de bois: c'étaient les
tranchées.
* * *
Cependant
mon attention fut attirée ailleurs. presque immédiatement.
Deux flocons de fumée noire avaient fait
soudain leur apparition tout près, de l'un
des avions qui me précédaient, et avec la
même brusquerie déconcertante d'autres flocons semblables se
mirent à naître dans le ciel au-dessus,
au-dessous et tout autour de nous. On tirait
sur nous des shrapnels. Il était intéressant
de guetter l'éclair des shrapnels quand ils
éclataient et les flocons de fumée qui
suivaient - blancs, noirs ou jaunes —
suivant la nature des obus. Le ronronnement
du moteur étouffait le bruit des
éclatements. De manière assez étrange, mes
impressions sur tout cela étaient
entièrement impersonnelles.
Nous tournâmes au Nord après avoir traversé
les lignes. Mulhouse semblait juste en
dessous de nous et je remarquai avec une
vive satisfaction notre avance très sensible
en territoire allemand. Le Rhin, aussi,
semblait délicieusement accessible. Tandis
que nous avancions vers le Nord je
distinguai les deux lacs de Gérardmer
brillant dans leur écrin d'émeraude. A
l'endroit où les, lignes traversaient
l'Hartmannswillerkopf il y avait de petites
éruptions de fumée brune, les éclatements
des obus dans les tranchées. On pouvait, non
sans difficulté. reconnaître la veille ville
de Thann au milieu des nombreux villages
environnants, tellement l'entrée de la
vallée semblait exigue. Je n'avais jamais
volé à plus de 2.500 mètres jusqu'ici et je
n'avais pas l'habitude d'étudier une région
d'une aussi grande altitude. Il faisait en
outre un froid terrible et malgré ma
combinaison doublée de fourrure je
grelottais. Je remarquai aussi qu'il me
fallait faire des aspirations longues et
profondes pour respirer dans cet air
raféfié. En regardant au, dessous de moi
sous un certain angle je vis ce que tout
d'abord je pris pour un étang tout rond,
faiblement éclairé. C'était simplement
l'effet du lever du soleil sur le brouillard
gelé. Nous n'avions cessé
d'avoir l'oeil aux
avions allemands depuis que nous avions
passé les lignes, mais ils ne se montrèrent
pas. Il n'y avait rien
d'étonnant à cela, car nous étions trop
nombreux.
Quatre jours plus tard, cependant, Rockwell
descendit le premier avion abattu par
l'escadrille. C'était son premier combat. Il
volait seul, au-dessus de Thann,
quand il tomba sur un appareil allemand de
reconnaissance. Il plongea; l'appareil fit
demi-tour vers ses lignes, ouvrant le feu à
grande distance. Rockwell alla droit sur
lui. Arrivé tout près, à trente mètres, il
pressa sur la gachette de sa mitrailleuse et
vit le mitrailleur allemand tomber à la
renverse tandis que le pilote s'effondrait
de côté sur son siège. Le biplan s'abattit
et s'écrasa au sol juste derrière les
tranchées boches. Le suivant presque jusqu'à
terre Rockwell vit les débris prendre feu
dans une grande flamme. Il avait gagné la
partie en tirant juste quatre coups, et une
seule balle allemande avait atteint son
Nieuport. Un poste d'observation nous
téléphona la nouvelle avant le retour de
Rockwell auquel nous fîmes une ovation. Tout
Luxeuil lui faisait fête, et surtout les
jeunes filles, mais il n'eut pas le temps de
jouir de sa popularité; l'escadrille reçut
l'ordre de partir pour le secteur de Verdun.
Tandis que, dans un sens, nous étions
ennuyés de quitter Luxeuil, d'autre part
nous n'avions pas regret d'avoir à jouer
notre rôle dans les opérations aériennes de
la plus formidable bataille du monde. La
nuit qui précéda notre départ quelques
appareils allemands détruisirent quatre de
nos tracteurs et nous tuèrent six hommes
avec leurs bombes, mais cela nous causa
moins d'émotion que le fait d'aller à
Verdun. Nous nous vengerons sur les Boches
là-bas, pensions-nous, d'autant qu'il n'est
pas possible de faire la chasse aux
aéroplanes de nuit, ce qui avait permis à
nos visiteurs de repartir sans être
inquiétés.
Aussitôt que les pilotes furent partis en
appareil, les camions et tracteurs partirent
en convoi, transportant les hommes et
l'équipement. Les Nieuport nous
transportèrent à notre nouveau poste de
combat en un peu moins d'une heure. Nous les
abritâmes dans les hangars et allâmes jeter
un coup d'œil sur nos cantonnements. Une villa
confortable, à mi-chemin entre la ville de
Bar-le-Duc et le champ d'aviation nous avait
été réservée et notre bien-être était aussi
grand qu'à Luxeuil.
Notre travail vraiment sérieux était
commencé, cependant, et nous le savions.
Même à la distance où Bar-le-Duc se trouve
de la bataille on avait l'impression d'être
à proximité d'une vaste opération militaire.
Les convois sans fin de camions automobiles,
les torrents de troupes se succèdant en hâte
et le nombre inquiétant des ambulances
imposaient la notion de la proximité d'une
bataille gigantesque.
Dans un rayon de quarante kilomètres du
front de Verdun les camps d'aviation étaient
nombreux. Notre escadrille était enrôlée
dans le plan d'action avec les autres
groupes de combat qui avaient chacun leurs
heures de vol, distribuées de telle sorte
qu'il y avait toujours une escadrille de
chasse sur les lignes. Un poste de campagne
de télégraphie sans fil, pour nous permettre
d'être informés de tous les mouvements des
avions ennemis, fit partie de notre
équipement.
Lufbery nous rejoignit quelques jours après
notre arrivée. Il fut bientôt suivi de
Johnson et Balsley qui faisaient auparavant
partie du service de garde sur Paris. Hill
et Rumsey vinrent ensuite, et après eux
Masson et Pavelka. Des Nieuport leurs furent
livrés par le parc le plus proche et dès
qu'ils eurent essayé leur appareil et fait
le réglage de leur mitrailleuse ils
participèrent à la tâche commune. Quinze
Américains ont passé ou sont encore en
service à l'escadrille américaine qui n'a
toutefois jamais eu un effectif disponible
atteignant ce chiffre.
Avant que nous fussions complètement
installés à Bar-le-Duc, Hall descendit un
avion de reconnaissance allemand et Thaw un
Fokker. Des combats se présentaient presque
à chaque sortie. Les Allemands pénétraient
rarement à l'intérieur de nos lignes, sauf
pour venir bombarder, ce qui fait qu'en
réalité tous les actes de guerre se
passaient sur leur territoire. Thaw
descendit son Fokker un matin, et dans
l'après-midi du même jour il y eut un combat
important fort au delà des tranchées
allemandes. Thaw y fut blessé au bras et une
balle explosible, frappant le pare-brise de
Rockwell, lui fit maintes entailles à la
face. Malgré le sang qui l'aveuglait
Rockwell parvint à regagner un champ
d'aviation et à atterrir. Thaw, dont le sang
coulait abondamment, atterrit en piteuse
condition dans nos lignes. Il était trop
faible pour faire un pas et les soldats
français durent le porter au poste de
secours le plus voisin d'où on l'envoya en
traitement à Paris. Les blessures de
Rockwell étaient moins sérieuses et il
insista pour Reprendre l'air dans le plus
bref délai.
(A suivre.)
|

L'escadrille
américaine a toujours eu la réputation
d'être l'une de celles où les avions sont le
mieux vérifiés, où les moteurs sont le plus
au point, D'ailleurs les mécaniciens, si
facilement oubliés dans le tribut de
louanges adressé aux as, ne sont-ils pas les
artisans de la victoire?
Le
sergent Haviland qui a abattu un boche
officiellement est l'un des plus
audacieux pilotes de l'escadrille La
Fayette.
Cette photographie a
été prise il y a plus d'un an Aussi
y retrouve-t-on des héros morts au
champ d'honneur, tels le lieutenant
de Laage de Meux, le sous-lieutenant
Rockwell, Norman Prince, Chacman,
Mac Connell, auteur de ce récit. Le
capitaine Happe (maintenant
commandant), as bombardier, était
venu rendre visite aux pilotes
américains.
|
suite
ENVIRON une semaine plus tard Chapman fut
blessé. Etant donne le
nombre des combats qu'il avait livré et le
courage avec lequel il se ruait à l'attaque,
c'était miracle qu'il n'ait pas été blessé
plus tôt. Il engageait toujours la lutte
contre des forces supérieures et loin dans
les lignes ennemies. Il valait plus qu'aucun
d'entre nous, ne manquant jamais une
occasion d'expédition et ne rentrant jamais
avant d'avoir épuisé sa provision d'essence.
Son appareil était transpercé par les balles
comme une écumoire. Son courage était
presque surhumain et son dévouement à la
cause pour laquelle il combattait sublime.
Le jour où il fut blessé, il s'était attaqué
à quatre aéroplanes. Plongeant sur lui par
derrière, l'un d'eux un Fokker, cribla
l'appareil de
Chapman. une balle pénétra profondément dans
le cuir chevelu, néanmoins Chapman, qui
était un maître pilote, échappa au
guet-apens et tira plusieurs rafales de
mitrailleuses pour prouver qu'il était sain
et sauf. Une commande de son stabilisateur
avait été sectionnée par un projectile.
Chapman tint la commande coupée d'une main,
dirigea son appareil de l'autre et réussit à
toucher terre sur le champ le plus proche.
On pansa sa blessure, on répara ses
commandes et immédiatement il reprit son vol
à la recherche d'autres ennemis. Il ne
voulut prendre aucun repos et, la tête
entourée de pansements, il continua à voler
et à combattre.
L'escadrille eut un autre engagement sérieux
avec l'ennemi quelques jours plus tard.
Rockwell, Balsley, Prince et le capitaine
Thenault furent encerclés par un grand
nombre d'avions allemands qui, tournant
autour d'eux, ouvrirent le feu à longue
portée. Constatant leur infériorité
numérique, les Américains et leur chef
cherchèrent leur salut en attaquant les
avions ennemis les plus proches des lignes
françaises. Rockwell, Prince et le capitaine
réussirent à forcer le cercle mais Balsley
se trouva enfermé. Il attaqua l'avion
allemand le plus voisin juste pour recevoir
une balle explosive dans la cuisse. En
essayant d'échapper par une descente à la
verticale, son avion se mit en vrille, puis
sur le dos. Ses bandes de rechange pour sa
mitrailleuse, échappées de leur casier, lui
tombèrent sur les bras. Il dégringolait
droit sur les tranchées lorsque d'un suprême
effort il reprit connaissance, rétablit son
appareil et atterrit sans encombre dans une
prairie juste derrière la ligne de feu.
Des soldats le transportèrent dans l'abri
d'un fort voisin et plus tard on l'emmena
dans un hôpital ce campagne où il resta
pendant de longs jours entre la vie et la
mort. On dut lui extraire de la poitrine une
dizaine d'éclats de la balle explosive. Il
supporta tout avec courage et devint le
favori des officiers blessés au milieu
desquels il était soigné. Quand nous allions
en avion pour le voir ils nous disaient:
«C'est un brave petit gars. l'aviateur
américain». Sur une étagère près de son lit,
enveloppés dans un mouchoir, il conservait
les fragments de la balle qui l'avait
blessé, et aussi quelques feuilles de papier
où il essayait d'écrire à sa mère, là-bas, à
El-Paso (Texas).
Balsley reçut la Médaille Militaire et la
Croix de Guerre, mais les honneurs
l'effrayaient. Il avait tant vu d'officiers
être décorés à l'hôpital, lorsqu'ils
allaient mourir.
Le dernier
combat de Chapman.
C'est
à cette époque que Chapman livra son dernier
combat avant de quitter le champ il avait
mis dans sa carlingue deux petits sacs
d'oranges pour les porter à Balsley qui
aimait sucer ces fruits pour désaltérer sa
terrible soif. Il devait les lui donner à la
fin de sa journée de vol.
Il y eut un combat aérien contre l'ennemi,
loin à l'intérieur des lignes allemandes, et
Chapman pour écarter leur feu de ses
camarades s'attaqua à plusieurs appareils à
la fois. Il en envoya un s'écraser au sol et
avait forcé les autres à s'enfuir lorsque
deux nouveaux venus piquèrent sur lui. De
tels combats sont l'affaire de quelques
secondes et personne ne peut voir clairement
ce qui se passe. Lufbery et Prince, que
Chapman avait défendu avec tant de
vaillance, regagnèrent les lignes
françaises. Ils nous parlèrent du combat et
nous attendîmes sur le champ le retour de
Chapman. Il rentrait toujours le dernier,
aussi n'étions-nous pas inquiets lorsqu'un
pilote d'une autre escadrille de combat
téléphona qu'il avait assisté à la chute
d'un Nieuport. Un peu plus tard
l'observateur d'un avion
de reconnaissance nous appela à l'appareil
et nous dit comment il avait été témoin de
la mort de Chapman. Les ailes de l'avion
s'étaient repliées et il était tombé comme
une pierre.
Après cela nous parlions à voix basse et
l'on pouvait voir dans nos yeux à tous notre
douleur. Si seulement il pouvait s'agir de
quelque autre, pensions-nous tous. La mort
de Chapman n'était pas une perte irréparable
seulement pour nous, mais aussi pour la
France et pour le monde. Et je me le
représentais étendu parmi les épaves de son
appareil et les oranges qu'il emportait à
Balsley.
Comme je quittais le champ je vis le
mécanicien de Victor
appuyé contre les montants de notre hangar.
Il regardait au Nord, dans le ciel, où son
patron avait disparu à notre vue, et sa face
disait son désespoir.
Promotions et
décorations.
A
cette époque Prince et Hall furent nommés
adjudants. Pour nous, qui étions caporaux,
on nous fit sergents. J'avoue franchement
que je ressentis une satisfaction marquée en
recevant ce grade dans la
plus belle armée du monde. J'étais un
personnage beaucoup plus important, à mon
propre avis,
que si j'avais été lieutenant en second dans
la milice L'événement mémorable qui suivit
fut une remise de décorations.
Nous avions assisté à une semblable
cérémonie pour Cowdin à Luxeuil, mais cette
fois-ci on décorait à la fois trois de nos
camarades en récompense des Boches qu'ils
avaient descendus. Rockwell et Hall
recevaient la Médaille Militaire et la Croix
de Guerre et Thaw, comme lieute-
nant, la Légion d'Honneur et une nouvelle
palme au ruban de la Croix de Guerre qu'il
avait déjà. Thaw qui vint spécialement de
Paris pour la remise des décorations avait
encore le bras en écharpe. Il y avait aussi
des décorations pour Chapman, mais notre
pauvre Victor, qui avait été cité si souvent
à l'ordre du jour, n'était plus là pour les
recevoir.

La sortie du matin.
Notre
routine quotidienne continue avec peu de
variantes. Chaque fois que le temps le
permet — c'est-à-dire quand il ne pleut pas
ou que les nuages ne sont pas trop bas —
nous volons au-dessus du champ de bataille
de Verdun aux heures prescrites par le Grand
Quartier Général. En règle générale les
sorties les plus heureuses sont celles du
début de la matinée.
(A suivre.)
|

On a prétendu à tort que
la tête de Peau Rouge était l'insigne de
l'escadrille La Fayette. Cette
désignation avait été choisie par un
pilote de l'unité pour son avion.
|
suite
On nous réveille alors qu'il
fait encore noir. A demi endormi j'essaye de
réconcilier l'appel de mon ordonnance
trançais:
«C'est l'heure, Monsieur», qui me fait
sortir du lit, avec les paroles et la
musique si nettement américaines de:
When the midnight
choo-choo leaves for alabam
Au-dessous de
nous le pays s'est transformé en une
surface plane aux couleurs variées. Les
forêts sont des taches irrégulières vert
sombre, tels des pâtés d'encre sur une
table ; les champs sont autant
de dessins géométriques dans tous
les tons du brun et du vert, et forme comme
une peinture cubiste ultra-compliquée
; les routes sont de minces lignes
blanches avec chacune leur orientation
et leurs embranchements — qui vous
permettent de les identifier. Plus haut
vous vous trouvez et plus facile en est
la lecture.
En dix minutes environ vous apercevez la
Meuse, étincelante dans la clarté du matin,
et des deux côtés la longue ligne des
drachens d'observation en forme de saucisses
au-dessous de vous, très bas. Les
toits rouges de Verdun apparaissent à
votre vue non loin d'eux. Par endroits vous
ne voyez plus de rouge, et vous savez
alors ce qui est arrivé là. Dans les paturages
verts qui entourent la ville, des
taches brunes, toutes rondes, vous signalent
les trous d'obus. Vous traversez la
Meuse.
Verdun vue
d'en haut.
Immédiatement à l'est et au
nord de Verdun
s'étend une large bande de terrain brune.
Elle s'en va vers l'ouest de la plaine
de Wœvre jusqu'à l'S de la Meuse et,
sur la rive gauche de cette rivière désormais
célèbre, se continue jusqu'à la forêt
de l'Argonne. Des champs paisibles, des
fermes et des villages égayaient ce paysage
il y a quelques mois, alors qu'il n'y
avait pas encore de bataille de Verdun.
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, III. -- L'AS AMÉRICAIN : LUFBERY
Voir
aussi
Comment
je connus Lufbery
par Marc Pourpe
Lufbery
narre un victoire
Un
coup dur! par Lufbery
Lufbery,
un héros disparaît 19 mai
1918
Le sous-lieutenant Gervais Raoul
Lufbery, l'«as» de l'escadrille américaine,
a flâné sur tous les points du globe plus
qu'aucun homme de son âge. Depuis son
adolescence la carrière de Lufbery a été
continuellement variée et aventureuse et son
histoire est l'une des plus intéressantes
que l'on puisse rencontrer parmi les
Américains enrôlés dans l'armée alliée.
Il y a quinze
ans Lufbery, alors âgé de dix-sept ans,
quitta le domicile paternel à Wallingford,
dans le Connecticut, et s'en fut visiter le
monde. Il vint d'abord en France, le pays de
ses ancêtres, et visita Paris, Bourges,
Marseille et autres cités. A Marseille il
s'embarqua pour l'Afrique du Nord et passa
un certain temps en Algérie, en Tunisie et
en Egypte, puis il se rendit à
Constantinople où il servit pendant
plusieurs semaines dans un restaurant. Le
plan de Lufbery était d'arriver dans une
ville et, s'il la trouvait digne d'intérêt,
d'y trouver un emploi et d'y séjourner le
temps nécessaire pour satisfaire sa
curiosité.
En quittant la
Turquie Lufbery se rendit par les Etats
Balkaniques en Allemagne, d'où il
s'embarqua, à Hambourg, pour l'Amérique du
Sud. Là il décida de retourner voir la
maison paternelle et en 1906 il revenait à
Wallingford.
Le père de
Lufbery, Edward Lufbery, avait été pendant
de longues années un collectionneur
fanatique de timbres-poste et avait fait la
chasse lui-même, dans le monde entier aux
timbres rares qui lui manquaient. La veille
même du retour de Raoul il était parti pour
l'un de ces voyages prolongés, et bien que
le jeune Lufbery soit resté à Wallingford
Une année
entière auprès de son frère aîné il ne vit
pas son père.
En 1907 Raoul
Lufbery, las de la vie tranquille du
Connecticut, se rendit à la Nouvelle Orléans
et s'enrôla dans l'armée régulière
américaine. On l'envoya aux îles Philippines
où il séjourna plus de deux ans. A la fin de
son service il partit pour le Japon, qu'il
visita, puis pour la Chine qu'il parcourut
très sérieusement.
Ensuite il se
rendit aux Indes. A Bombay il remplit les
fonctions de contrôleur sur les chemins de
fer de l'Etat. Un jour, tandis qu'il
effectuait son service, un grand et solennel
hindou se présenta à son guichet.
- Un billet?
demanda Lufbery.
- Vous devez
m'appeler «Monsieur», répondit l'Indien.
Lufbery est vif de tempérament. Il fit pivoter l'Indien et l'expulsa de la gare. Quelques minutes plus tard Lufbery était convoqué au bureau du chef de gare où on lui rendait son tablier. Il avait malmené le plus riche et le puissant des Mahométans de Bombay.
Lufbery
s'arrêta ensuite en Indo-Chine française. A
Saïgon, en Cochinchine, il fit connaissance
de Marc Pourpe, le jeune aviateur français
qui venait faire des exhibitions en
Asie. Pourpe avait besoin d'un mécanicien;
Lufbery n'avait jamais vu de près un
aéroplane, il postula néanmoins pour
l'emploi et fut agréé.
Ce fut le
début d'une solide amitié entre les deux
hommes. L'aviateur français et son
collaborateur américain donnèrent des
exhibitions d'aviation avec grand succès
dans toutes les provinces de l'Indo-Chine
française. Le roi du Cambodge fut si
enchanté qu'il décora Pourpe et Lufbery d'un
ordre qui leur donnait droit à une garde
d'honneur en quelque endroit qu'ils fissent
leur apparition dans les rues de toutes les
villes du Cambodge.
Dans une ville
les indigènes qui n'avaient jamais vu de
machine volante auparavant décidèrent d'en
construire une eux-mêmes. D'habiles ouvriers
asiatiques édifièrent avec du bambou et des
tissus de papier un appareil qui semblait
beaucoup plus joli que l'aéroplane de
Pourpe. Pour remplacer le moteur les
indigènes enfermèrent dans leur avion un
essaim d'abeilles. La fureur des bestioles
fit un tel vacarme qu'on eut cru au
bourdonnement d'un vrai moteur, mais à la
surprise de la plupart des assistants
l'engin se refusa à monter dans les airs et
même à bouger.
Puis ce fut le fameux raid de Pourpe du Caire à Khartoum et retour.
Au cours de l'été 1914, les deux camarades vinrent en France pour prendre livraison d'un nouvel aéroplane. C'est alors que la guerre fut déclarée et Pourpe s'engagea aussitôt dans l'aviation. Il était libéré de toutes obligations militaires mais il brûlait du désir de faire son devoir.
Lufbery voulut
s'engager avec lui mais lorsqu'il se
présenta au bureau de recrutement on lui
déclara que n'étant pas citoyen français, il
lui fallait entrer dans la Légion Etrangère,
s'il voulait combattre pour la France.
Lufbery désirait cependant rester avec son
ami. Finalement il fut convenu qu'il
s'engagerait dans la Légion, mais qu'il
serait immédiatement versé dans l'aviation.
C'est ainsi
que l'Américain put rejoindre son camarade
français à son dépôt d'aviation et
l'accompagna au front comme mécanicien. Mais
leur association ne dura pas longtemps.Après
avoir accompli d'admirables actions d'éclat
le brave Pourpe était tué le 2 décembre
1914.
Lufbery désira
venger personnellement son meilleur ami et
demanda à devenir élève pilote. Sa demande
fut accordée et il entra dans une école
d'aviation où il passa promptement son
brevet. Après avoir servi quelques mois dans
une escadrille de bombardement il fit son
entraînement comme pilote d'avion de combat
et au début de l'été de 1916 il partit au
front dans l'escadrille américaine. Le 30
juillet, en compagnie de James R. Me Connell
qui a été tué le 19 mars dernier, il attaqua
à bout portant un avion allemand et
l'abattit a l'ouest d'Etain, dans le secteur
de Verdun. Le lendemain Lufbery descendait
un autre appareil ennemi, et continuait en
remportant le 4 août une autre victoire, sa
victime venant tomber à Abancourt, près de
Verdun.
Lufbery fut peu après décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre avec la citation suivante:
Lufbery (Raoul). Sergent
à l'escadrille N. 124. Modèle d'adresse,
de sang-froid et de courage. S'est
distingué dans de nombreux bombardements
à longue distance et par les combats
quotidiens qu'il livre aux appareils
ennemis. Le 31 juillet a attaqué de très
près un groupe de quatre aéroplanes
allemands et a descendu l'un d'eux près
des lignes. Le 4 août 1916 a réussi à en
abattre un second.
Lufbery
continua son excellent travail. Le 8 août il
abattit un Aviatik qui tomba en flammes près
du fort de Douaumont. Presque chaque jour,
pendant tout l'été, il livra un ou plusieurs
combats, rentrant souvent au champ
d'aviation avec son avion criblé de balles,
et plus d'une fois avec ses vêtements
traversés par les projectiles allemands.
Au cours du
bombardement historique des usines Mauser,
le 12 octobre dernier, Lufbery descendit un
Aviatik triplace qui lui valait sa cinquième
victoire officielle et les honneurs de la
citation au communiqué. C'est au cours de
cette expédition que Norman Prince fut
blessé mortellement. L'escadrille partit
alors pour le champ de bataille de la Somme
et les 9 et 10 novembre Lufbery triompha de
deux avions allemands, mais les deux
appareils boches tombèrent trop loin à
l'intérieur des lignes ennemies pour pouvoir
être portés au compte officiel de
l'Américain.
Le 27
décembre, enfin, il abattit un Aviatik dans
nos lignes ce qui lui valut une nouvelle
mention au communiqué comme ayant descendu
son sixième avion allemand. Au cours de ce
combat Lufbery échappa de peu à la mort,
quatre des balles de son adversaire ayant
passé tout près de son corps.
En récompense de sa sixième victoire le pilote américain fut proposé pour la Croix de la Légion d'Honneur qui lui fut décernée en mars.
Au début de
janvier Lufbery fut atteint de rhumatismes
des plus douloureux qui ne l'empêchèrent pas
de voler pendant quelque temps. Lorsqu'il
descendit son septième aéroplane boche
officiel il était presque courbé en deux par
les douleurs et on dut l'aider à monter et à
descendre de son avion. Ce fut seulement
lorsqu'il eut abattu son septième appareil
allemand qu'il consentit à entrer à
l'hôpital, mais après un court séjour il
repartait en mars pour son escadrille.
Pendant et après la grande retraite allemande en mars dernier Lufbery fut très actif. La citation suivante à l'ordre de l'armée témoigne de ses exploits:
Lufbery
(Raoul). Adjudant à l'escadrille N.
I24, pilote à l'escadrille La Fayette;
adroit et intrépide; véritable modèle
pour tous ses camarades. Le 8 avril a
obligé un avion ennemi à atterrir. A
abattu le 13 avril 1917 son huitième
appareil ennemi et le 24 son neuvième.
Ces victoires
n'eurent pour résultat que de rendre Lufbery
plus infatigable encore que les autres et
chaque jour où le temps le permettait il
rôdait dans les airs en quête 'une nouvelle
victime. Le 12 juin au matin il détruisit
son dixième adversaire. Volant seul à 5.000
mètres environ Lufbery aperçut un groupe de
sept aéroplanes allemands; deux biplaces
pour le réglage du tir d'artillerie,
escortés par cinq avions de chasse. Lufbery
tourna autour de l'escadrille ennemie
attendant l'occasion d'attaquer. Finalement
elle se présenta. L'un des avions de réglage
boches vint à s'éloigner un peu de ses
camarades.
Lufbery fonça sur lui et
l'envvoya au sol. L'Américain n'avait tiré
que vingt-cinq balles quand sa
mitrailleuse s'enraya, mais l'Allemand
était déjà démoli. Il alla s'écraser dans
les tranchées après avoir eu ses ailes
arrachées dans la chute. Lufbery atterrit
pour réparer sa mitrailleuse et repartit à
la recherche d'une autre
proie. Le même jour Lufbery fut décoré de la Médaille Militaire anglaise. Il était le premier américain engagé dans l'armée française à recevoir cette récompense si enviée. Vers la fin de juin il était nommé sous-lieutenant, promotion qu'il avait méritée depuis longtemps.
Pendant dix
ans presque Lufbery avait été sans nouvelles
de sa famille lorsqu'à la fin d'octobre il
reçut une lettre de son père qui vit encore
à Wallingford ( Etats-Unis). Il disait qu'il
avait vu le portrait de Raoul dans un
journal et qu'il aimerait avoir des
nouvelles de son fils dont il est séparé
depuis si longtemps. Cette photographie
était l'une de celles que j'avais prises
l'été dernier quand j'allai visiter
l'escadrille sur le front de Verdun.
Quelques
jours après que Lufbery eut été cité au
communiqué officiel il recevait une lettre
de son frère Charles qui lui annonçait que
lui aussi il allait venir en France pour
s'engager. Charles Lufbery est actuellement
sergent à l'état-major d'une brigade
française et Raoul va souvent le voir
lorsqu'il est en permission.
Le
sous-lieutenant Lufbery est un homme
excessivement calme, de caractère égal, peu
loquace. Il a sa méthode personnelle pour
combattre les avions boches. Il est froid,
prudent et brave et en outre possède un coup
de fusil exceptionnel. Alors qu'il
appartenait à l'armée américaine il gagna
l'épinglette de son régiment. Il est l'un
des pilotes les plus populaires de
l'escadrille américaine où chacun admire
l'«as» et lui accorde sans compter la haute
estime dont il est digne.
L'abondance des matières nous empêche de publier le Parlons d'ailes de notre rédacteur en chef Jacques Mortane. |
Lufbery est
calme, simple, taciturne. Il réfléchit
sans cesse et ne s'accorde de loisirs que
pour jouer ave son préféré, le lionceau
Wiskey
Le sous-lieutenant Lufbery qui a
remporté dix victoires officielles est l'as
de l'escadrille La Fayette. Il a la Médaille
Militaire, la Légion d'Honneur
et six palmes. Il est devenu Pilote pour
venger son ami Marc Pourpe,
mort au champ d'honneur.
EN
ATTENDANT LES AUTRES AMÉRICAINS
Sur ce
cliché nous reconnaissons de gauche à droite
Bigelow, Johnson, Hill, Dugan et le
sous-lieutenant Lutbery, le grand as de
l'escadrille La Fayette. Ces pilotes
attendent leurs camarades mobilisés qui vont
bientôt les rejoindre. A ce moment, la
glorieuse unité sera sans doute supprimée et
tous ceux qui luttent volontairement pour
les alliés depuis longtemps abandonneront
l'uniforme français pour adopter le costume
national.
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IV. - LES PREMIERS DEUILS DE L'AMÉRIQUE EN GUERRE
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Il est pénible de
parler de ses amis quand ils sont morts. Si je
tenais compte de mes préférences je
raconterais plutôt comment Jean Huffer, le
prochain «as» américain, après avoir descendu
quatre avions boches sur le front français, a
été envoyé en Italie avec une escadrille
d'élite de pilotes français, ou bien je
décrirais les innombrables combats de William
Thaw, de Willis Haviland, de Walter Lovell et
de leurs compagnons. Mais la plupart de ceux
qui connaissaient les héros disparus de
l'escadrille La Fayette sont à l'heure
actuelle trop occupés à combattre et à
chercher à venger leurs amis disparus pour
parler d'eux, aussi est-ce ma modeste tâche de
chercher à honorer la mémoire des morts en
disant ce qu'ils ont accompli pendant la
guerre. Ce sera l'histoire d'Edmond Genet, de
Ronald Hoskier, du lieutenant de Laage de Meux
et de Jean Dressy, les quatre membres de
l'escadrille la Fayette qui ont été tués
depuis que les Etats-Unis ont déclaré la
guerre à l'Allemagne.
La première fois que j'ai entendu parler
d'Edmond Charles Clinton Genet, ce fut peu
après la grande bataille de la Légion
étrangère en Champagne, du 24 au 28 septembre
1915. Un célèbre chirurgien américain, le
docteur David Wheeler, avait été témoin de
telles horreurs tandis qu'il soignait les
blessés français près du front qu'il s'était
engagé comme simple soldat à la Légion afin de
consacrer toutes ses forces à exterminer les
Boches. Il venait d'avoir le mollet de la
jambe droite arraché par une balle explosible
allemande et on l'avait transporté à
l'ambulance américaine de Neuilly J'étais venu
voir le docteur Wheeler. Ses premiers mots
furent :
«Avez-vous des nouvelles de Genet?»
Je demandai qui était Genet et Wheeler.
Il me dit que c'était un jeune légionnaire
américain âgé de dix-huit ans, le descendant
du «citoyen» Genet, qui représenta autrefois
la France aux Etats-Unis, et qu'il était l'un
des plus braves et des plus agréables garçons
qu'il eut jamais connus.
Quelque temps après je rencontrai Genet
lorsqu'il vint du front en permission et je
trouvai qu'il était bien tel que Wheeler me
l'avait dépeint, simple, modeste, d'un beau
caractère et d'une bravoure indomptable. Nous
devînmes grands amis et
je fus enchanté lorsqu'en juin 1916 le petit
Edmond entra dans l'aviation comme élève
pilote à Buc. Très musicien et artiste il fut
le bienvenu dans le groupe des jeunes
aviateurs et fut aimé de tous ses camarades.
Je me souviens d'avoir vu lors d'une visite
aux baraquements de Bue d'excellentes
esquisses qu'Edmond avait faites et épinglées
aux murs pour égayer la laideur des cloisons
de planches de sa chambre.
Au début de
janvier dernier Genet rejoignit l'escadrille
La Fayette sur le front de la Somme. Le temps
était mauvais et l'on volait peu, mais chaque
fois que cela lui était possible, Edmond
faisait une sortie. Il eut de nombreux combats
avec des avions ennemis mais sans résultats
officiels.
Puis vint ce lundi maudit du 19 mars où le
pauvre Jim Mc Connell fut abattu par les Huns.
Genet se trouvait avec Mac pour cette sortie
néfaste et la lettre où il racontait le combat
a déjà été publiée. Genet avait été lui-même
sérieusement blessé à la joue par un éclat de
balle explosible mais il s'était refusé à
prendre aucun repos, déclarant qu'il était
résolu à venger la mort de Me Connell. Le 19
mars au soir le capitaine Thenault citait
Genet à l'ordre de l'armée en ces termes:
Genet (Edmond), caporal à l'escadrille 124;
citoyen américain engagé au service de la
France.
A fait preuve des plus belles qualités
d'ardeur et de dévouement, livrant des
combats aériens dès son arrivée à
l'escadrille, effectuant des reconnaissances
à basse altitude, et se dépensant sans
compter. Le 19 mars 1917 a été blessé au
cours d'un combat contre deux avions ennemis
et a refusé d'interrompre son service.
Exactement quatre
semaines plus tard, le 16 avril, ce vaillant
soldat de France était tué. Mon ami, le
sergent Walter Lovell, m'en informait par la
lettre suivante où il me racontait la mort de
son camarade:
16 Avril.
MON CHER PAUL,
Il semble que je sois destiné à vous
annoncer toujours de mauvaises nouvelles.
Cette fois c'est ce pauvre petit Genet qui
est mort. Il a été tué cet après-midi. Il
volait en compagnie de Lufbery. A cause des
nuages ils volaient bas. Les batteries
spéciales allemandes tiraient sur eux sans
discontinuer. Soudain Lufbery remarque que
Genet faisait demi-tour pour rentrer. Il se
mit en devoir de la suivre mais le perdit de
vue dans les nuages. Il décida de rester sur
les lignes. Il ne pensait pas qu'il ait pu
arriver rien de fâcheux à Genet car il
n'avait pas vu éclater d'obus dangereusement
près de l'appareil de son camarade. Il fut
très surpris à son retour au champ de voir
qu'Edmond n'était pas rentré. Peu d'instants
après nous recevions par téléphone la
nouvelle que Genet était tombé à cinq
kilomètres à l'intérieur de nos lignes. le
lieutenant de Laage, Lufbery, Havilaud et
moi nous prîmes la voiture légère de
l'escadrille et accourûmes au poste de
secours. Nous y trouvâmes le cadavre de
Genet; il avait été tué sur le coup. J'ai vu
l'appareil un peu plus tard. Je n'ai jamais
vu destruction d'appareil aussi complète, et
pourtant j'en ai vu. Il était tombé plein
moteur au beau milieu d'une route ce qui
prouve que l'obus allemand l'avait tué ou
lui avait fait perdre conscience.
J'avais volé avec lui le matin, très
tôt, et l'après-midi nous devions repartir
ensemble mais comme il semblait fatigué je
lui conseillai de ne pas voler et je fis ma
sortie avec Thaw. Quand je rentrai je sus
que Genet était parti avec Lufbery.
Haviland, dont l'avion est hors d'usage,
chercha à décider Genet à lui prêter son
appareil pour partir à sa place, mais Edmond
refusa. Genet assura qu'il se sentait mieux
et insista pour partir... à la mort!
Pour moi j'ai perdu un ami très cher et
un camarade de combat courageux et
l'escadrille perd un des pilotes les plus
consciencieux qu'elle ait jamais eu et
qu'elle aura jamais. Edmond est tombé
à quelques centaines de mètres à peine du
point où Mac était tombé il y a quatre
semaines. On l'enterre à Ham demain matin.
Je suis content au moins d'une chose, c'est
qu'il ait appris hier soir que sa citation
était maintenant officielle et aussi que
l'avion allemand avec lequel il s'était
mesuré quand Mac Connell fut tué avait été
contraint d'atterrir en territoire français
et que son équipage avait été fait
risonnier.
Sincèrement.
WALTER.
Les obsèques du
petit Genet eurent lieu au milieu d'une
tempête de neige; la cérémonie fut très simple
mais très impressionnante. Au moment même où
l'aumônier militaire qui lisait l'office
venait de dire Amen, le soleil perça un
instant à travers les nuages et vint illuminer
le cercueil «comme une bénédiction du ciel»,
ainsi que le disait plus tard l'un des
pilotes. Genet avait demandé dans ses
dernières volontés à être enveloppé dans un
drapeau français s'il venait à être tué dans
nos lignes et que deux drapeaux, le drapeau
français et le drapeau américain, soient
placés sur sa tombe. Cela fut fait.
La dernière citation de Genet dit:
Genet (Edmond-Charles-Clinton), caporal à
l'escadrille Lafayette N. 124: pilote
courageux et dévoué, a trouvé le 16 avril
1917 une mort glorieuse. A terminé l'énoncé
de ses dernières volontés en disant: «Vive
la France toujours».
Un nouveau deuil
frappa ensuite l'escadrille à la mort de
Ronald Wood Hoskier. Je le connaissais moins.
Je l'avais rencontré, m'étais entretenu avec
lui quelques jours après son entrée dans
l'aviation, à l'école de Buc, et j'avais été
vivement impressionné par son beau caractère
et son enthousiasme pour la cause de la
France. A partir du jour où il fut envoyé au
front à la fin de l'année dernière, chaque
fois que je vis un pilote ou que je reçus des
nouvelles de l'escadrille La Fayette, le nom
de Hoskier me fut cité comme celui d'un des
membres les plus actifs de cette unité.
L'escadrille ne fit pas une seule sortie après
son arrivée à laquelle il n'ait pris part. Il
avait continuellement de durs combats avec les
Boches. J'entendais parler si souvent de ses
duels aériens que je fus ému mais non surpris
lorsque je reçus de l'un de ses camarades la
nouvelle suivante:
23. Avril.
MON CHER PAUL,
C'est à Ronald Hoskier, cette fois, que la
mort à fait appel. C'était le plus viril
compagnon que j'aie jamais connu, un être
accompli à tous points de vue. Trois de nos
meilleurs hommes disparus en un mois ; un
vent de désastre souffle sur l'escadrille.
Hoskier montait un Morane Parasol et avait
Jean Dressy, l'ancien mitrailleur du
lieutenant de Laage, un excellent garçon lui
aussi, comme observateur. Hoskier était
parti aujourd'hui en reconnaissance, convoyé
par Thaw, Haviland et Willis. Il y avait de
gros nuages à 2.000 mètres et ils volaient
juste en-dessous. Tout à coup ils arrivèrent
sur un groupe d'avions boches comprenant
quatre ou cinq appareils. Une mélée générale
s'ensuivit, mais sans casse, ni d'un côté ni
de l'autre. Les Boches retournèrent chez eux
et disparurent dans les nuages. Vers le même
instant notre groupe entra dans un nuage et
tous les avions se trouvèrent dispersés.
Aucun d'eux ne jevit plus Hoskier. Les
observateurs en drachen, toutefois,
assistèrent à son dernier combat.
Hoskier qui venait d'entrer dans les nuages
avait certainement vu un Boche en-dessous de
lui, et vraisemblablement isolé. Il fonça
dessus.Au même instant plusieurs autres
appareils ennemis surgirent des nuages; ils
encerclèrent Hoskier et ouvrirent le feu. Il
n'a jamais eu de chance. Tout d'un coup on
vit son avion piquer vers le sol plein
moteur, les ailes repliées, et ce fut tout.
Dans la chute le pauvre Dressy avait été
projeté de l'appareil et on le vit très
nettement tomber dans le vide en même temps
que l'aéroplane. Par bonheur Hoskier et
Dressy sont tombés tous deux dans nos lignes
et nous avons pu les ensevelir décemment.
Les corps du
pilote et du mitrailleur furent transportes à
l'arrière à Ham et enterrés avec tous les
honneurs militaires auprès du petit Genet.
Voici les citations de Hoskier et de Dressy:
Hoskier (Ronald-Wood), sergent à
l'escadrille N. 124. Citoyen américain
engagé au service de la France. Véritable
âme d'élite pour sa bravoure et son esprit
de sacrifice. Est tombé le 23 avril 1917
après une héroïque défense dans un combat
contre trois appareils ennemis.
Dressy (Jean), mitrailleur à
l'escadrille N. 124. En septembre 1914,
pendant une marche en retraite, s'est dévoué
pour relever son officier blessé et
l'installer sur sa monture. Passé
mitrailleur dans l'aviation s'est montré
courageux et toujours prêt au combat. Est
tombé le 23 avril 1917. dans une lutte
contre trois avions ennemis.
La carrière tout
entière de Dressy est liée à celle du
lieutenant de Laage que je vais raconter.
Le vicomte Alfred de Laage de Meux commença la
guerre comme officier dans un régiment de
cavalerie. Il avait comme ordonnance Jean
Dressy. Ils avaient fait leur service
militaire dans le même régiment et quand de
Laage devint officier il prit Dressy comme
ordonnance.
Aux premiers jours de la guerre, un
après-midi, au cours d'une rencontre avec les
uhlans le lieutenant de Laage eut son cheval
tué sous lui.Il allait être fait prisonnier
lorsque Dressy le prit en croupe sur son
cheval. Plus tard, au cours de la bataille de
la Marne, les deux hommes
restèrent cachés pendant trois jours dans
Laage légèrement blessé avait été transporté
par son fidèle serviteur.
Voici sa première citation à l'ordre de
l'armée:
De Laage de Meux, sous-lieutenant de
réserve au 14e régiment de dragons, a
exécuté le 31 août 1914 une reconnaissance
fructueuse dans les conditions difficiles, a
repris trois fois et pendant plusieurs
heures le contact d'une importante colonne
ennemie (deux régiments de cavalerie,
accompagnés d'infanterie et des
mitrailleuses); atteint d'une balle à la
cuisse et ayant eu ses vêtements traversés
par d'autres balles n'en a pas moins continé
sa reconnaissancer apportant lui-même les
derniers renseignements, a ensuite continué
son service à son escadron malgré sa
blessure.
Remis de sa
blessure, de Laage entra dans l'aviation
d'abord comme observateur et bientôt comme
pilote après avoir appris à voler pendant
qu'il était au front.De Laage n'a jamais eu un
jour d'entraînement en école. Pendant
plusieurs mois il vola sur un avion de
reconnaissance et souvent il revint à son
escadrille avec son appareil criblé de balles
et d'éclats d'obus. Deux fois il ramena son
observateur tué. Quant à lui il semblait être
invulnérable. Il descendit son prémier Boche
sur appareil Farman, et une autre fois il
abattit l'avion ennemi qui 1 attaquait, mais
on ne lui compta pas sa victoire qu'on
attribua à un avion de chasse qui était venu à
la rescousse lorsque l'Allemand engageait le
combat avec de Laage.
Plus tard de Laage passa sur un avion de
chasse et ses notes étaient telles comme
pilote de combat que lorsqu'on forma
l'escadrille américaine il fut choisi pour la
commander en second. Les aviateurs américains
qui l'ont connu à Luxeuil en avril 1916 et
depuis ne parlent de lui qu'avec enthousiasme
et avec une admiration sincère.
Mon frère avait pour le lieutenant de Laage un
véritable culte. Je citerai seulement sur de
Laage l'une des anecdotes que Kiffin me
raconta souvent:
«Nous étions sortis ensemble un matin de
très bonne heure, le lieutenant de Laage et
moi. Au-dessus d'Etain je vis en-dessous de
moi un Boche; immédiatement je piquai
dessus. Pendant que j'étais en train de
l'assaisonner deux autres avions ennemis qui
étaient au-dessus de moi sans que je les aie
vus foncèrent sur moi et se plaçant à
l'arrière se mirent à cribler mon appareil
de projectiles. Je crus ma dernière heure
venue, inévitable. Le lieutenant de Laage
avait déjà eu un combat et sa mitrailleuse
était enrayée. Mais bien qu'il fut dans
l'impossibilité de tirer même une balle, il
piqua sur les deux Boches qui cherchaient à
me descendre et ceux-ci prirent la fuite. Je
suis certain qu'à ce moment il m'a sauvé la
vie comme il l'a fait bien d'autres fois».
Faut-il s'étonner qu'un tel chef ait été adoré
de ses hommes?
Le lieutenant de
Laage et Kiffin formaient toujours équipe
pendant leur séjour à Verdun. Ils étaient les
meilleurs amis du monde. La plupart des
combats qu'ils livrèrent se passèrent trop
loin dans les lignes boches pour que tous les
résultats en fussent officiellement connus,
mais tous les Américains étaient convaincus'
que leur lieutenant avait descendu de nombreux
avions, la malchance seule voulait que de
Laage abattît le plus souvent ses adversaires
loin de nos lignes.
Voici la première citation que le lieutenant
de Laage gagna dans le secteur de Verdun:
De Laage de Meux (Alfred) lieutenant,
pilote à l'escadrille N. 124 : pilote
d'élite qui est un véritable modèle de
bravoure. Faisant partie d'un groupe de
chasse depuis le début de la bataille de
Verdun, a livré de nombreux combats, allant
chercher ses adversaires loin dans leurs
lignes et les attaquant quel qu'en soit le
nombre. Le 27 juillet a abattu un avion
allemand à proximité du front.
De Laage descendit un autre appareil allemand
le 12 octobre, lorsque l'escadrille La Fayette
escorta les aéroplanes qui bombardèrent
Obemdorf, mais cela ne fut pas constaté
officiellement. Il fut cependant cité à
l'ordre de l'armée en ces termes:
«Lieutenant de Laage de Meux, de
l'escadrille N. 124. Officier pilote très
courageux. A pris part le 12 octobre 1916 à
l'opération de bombardement d'Oberndorf et
dégagé plusieurs fois les appareils qu'il
était chargé de protéger en attaquant de
très près les appareils ennemis qui
s'approchaient».
Quand
l'escadrille fut envoyée dans le secteur, de
la Somme il prit une part active à toutes les
sorties, se proposa avec le sergent Paul
Pavelka comme volontaire pour voler la nuit
sur avion de chasse et avec le sergent James
Me Connell, mort depuis, pour faire partie des
équipes de destructeurs de drachens. S'il y
avait une mission dangereuse et pénible à
remplir, cet officier infatigable insistait
toujours pour en être chargé. Il ne se
contentait pas d'être à la tête de ses pilotes
dans leurs expéditions mais à son retour au
camp il s'occupait de tout, surveillant
l'ordinaire et le travail de l'escadrille dans
ses moindres détails.
Le 21 avril dernier le lieutenant de Laage fut
fait chevalier de la Légion d'Honneur avec la
citation suivante:
«De Laage de Meux (Alfred),
lieutenant pilote (active) à l'escadrille N.
124 ; pilote de chasse de premier ordre.
Après s'être très brillamment conduit à
Verdun et sur la Somme, s'est à nouveau
distingué de la manière la plus remarquable
au cours des récentes opérations, exécutant
de nombreux vols à faible altitude pour
obliger l'ennemi à se découvrir et
rapportant au commandement de précieux
renseignements. Le 8 avril 1917 a livré
successivement trois durs combats et abattu
deux appareils ennemis, dégageant ainsi un
avion et un ballon français violemment
attaqués.Déjà quatre fois cité à l'ordre».
L'un des pilotes
m'écrivait, au sujet des deux Boches descendus
par de Laage le même jour, ce qui est le
record des pilotes de l'escadrille La Fayette:
«De Laage a eu trois combats le 8 avril et
a abattu deux avions, officiellement.
L'escadrille entière est dans la joie car
c'est un des viateurs les plus acharnés au
travail que l'on puisse voir. Il avait eu
quantité de combats heureux mais les
résultats n'étaient pas officiels bien que
l'on doive avoir en lui la plus grande
confiance du monde».
Quand de Laage
était entré dans l'aviation Dressy l'avait
accompagné, en premier lieu comme ordonnance,
mais souvent, à l'époque où le lieutenant de
Laage pilotait un biplace, il l'emmenait avec
lui comme mitrailleur. Lorsque Hoskier
commença à voler en Morane biplace Dressy se
proposa comme mitrailleur. Sa mort causa un
profond chagrin au lieutenant de Laage qui,
hélas! ne devait pas longtemps survivre à son
ami. Le 23 mai, cet officier d'élite se tuait
dans un lamentable accident.
Et voici sa dernière citation:
«Pilote de chasse d'une bravoure et d'une
adresse remarquables, se dépensant sans
compter, avec un joyeux courage. N'a cessé
d'être pour ses camarades un magnifique
exemple d'entrain et d'esprit de sacrifice.
Mortellement blessé dans une chute d'avion
le 23 mai 1917».
De Laage venait de recevoir un nouveau Spad
qu'il était impatient d'essayer.
Vers la fin de l'après-midi, du 23 mai, il
prit le départ pour un vol d'essai. Il était
parti «en chandelle» et venait juste de
quitter le champ quand son moteur le.plaqua.
Il n'était pas encore en ligne de vol; l'avion
eut une perte de vitesse et tomba en vrille
jusqu'au sol. De Laage lutta avec énergie pour
se rendre maître de l'appareil, mais sans
résultat. L'aéroplane piqua la tête la
première, s'écrasa américains fut tué sur le
coup.
Voici ce que m'écrivait sur lui un de ses
pilotes:
«Connaissant de Laage, vous imaginez quelle
effrayante perte personnelle est sa mort
pour chacun de nous. C'était sa
personnalité, son courage et le respect
qu'il inspirait qui guidaient l'escadrille
mieux que toute autre chose. C'était un
parfait chevalier et nous l'aimions
infiniment».
Quant à moi le
lieutenant de Laage m'apparaissait aussi comme
une vivante incarnation des chevaliers et des
preux français de l'ancien temps dont je
lisais les aventures et dont je rêvais quand
j'étais au collège. C'était le type le plus
accompli et le plus brave de l'officier
français, et il n'y a pas d'armée au monde qui
puisse se vanter d'avoir un type d'officier
supérieur à celui de France. C'est un
admirable privilège que d'avoir connu un tel
homme et j'envie ceux qui servaient sous ses
ordres. Les regrets que l'on me manifesta, de
l'escadrille La Fayette, furent innombrables
et émouvants et je n'ai jamais entendu parler
de lui autrement qu'avec louanges, respect et
admiration. Il se montrait toujours l'ami et
le compagnon de ses hommes en même temps que
leur chef, deux, choses bien difficile à
concilier. Quelques jours après la mort mon
frère le lieutenant de Laage me disait: «Je
suis né pour être tué à la guerre comme l'ont
été avant moi beaucoup de mes ancêtres dans
chacune des guerres où s'est battue notre
France bien aimée depuis un millier d'années».
De Laage avait le droit de mourir en plein
ciel, le cœur transpercé par une balle
ennemie, et sa mort due à un accident stupide
me prouve une fois de plus la suprême et
aveugle injustice avec laquelle la main
invisible du Destin organise les destinées
humaines.
PAUL AYRES ROCKWELL.
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LA
PREMIÈRE SORTIE SUR LES LIGNES
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